Le gouvernement canadien procède à une révision des permis d'exportation vers l'Arabie saoudite, a indiqué Justin Trudeau, jeudi, avertissant du même souffle que l'annulation pure et simple du contrat de véhicules blindés coûterait des « milliards de dollars ».

La ministre des Affaires étrangères, Chystia Freeland, a précisé par après qu'elle n'approuverait pas de nouveaux permis pendant que ce processus de révision des permis existants est en cours. Elle a fait cette mise au point alors qu'elle se trouvait à Winnipeg, au Manitoba.

Il a été impossible de savoir à quel point la facture serait salée ou à qui la pénalité financière serait versée si Ottawa déchirait le contrat d'une valeur de 15 milliards, le premier ministre disant avoir les mains liées pour des raisons de confidentialité.

« Le contrat qui a été signé par Stephen Harper et l'ancien gouvernement, c'est un contrat extrêmement difficile », a-t-il laissé tomber en conférence de presse conjointe au parlement avec son homologue des Pays-Bas, Mark Rutte.

« Ça pourrait nous coûter des milliards de dollars de sortir de ce contrat, mais je ne peux pas donner plus d'information que ça [...] à cause des clauses de confidentialité signées par l'ancien gouvernement », a ajouté Justin Trudeau.

En début de semaine, il avait évoqué une pénalité financière d'un milliard de dollars. Son bureau avait par la suite signalé que c'était une façon de parler pour illustrer que la facture serait salée et non pas un montant précis.

En 2017, le gouvernement avait gelé deux permis d'une entreprise ontarienne qui construit des blindés Gurkha après que Riyad eut été accusé d'avoir utilisé les véhicules en question pour réprimer la minorité chiite de l'est du pays. Quatre mois plus tard, les permis étaient rétablis, après qu'Ottawa eut fait enquête.

Alors, à quoi sert cette mesure, exactement ? « Cela nous donne des moments et un levier pour pouvoir exiger plus de réponses de l'Arabie saoudite », a offert le premier ministre lorsque la question lui a été posée.

« Tant qu'il n'y aura pas des réponses, nous allons continuer de chercher des moyens de mettre de la pression concertée sur ce pays pour s'assurer qu'ils comprennent l'importance de respecter les droits de la personne et la liberté de la presse », a-t-il insisté.

Chez Affaires mondiales Canada, on a précisé jeudi que la révision actuellement en cours touchait « tous » les permis d'exportation « d'armes ou d'autres biens contrôlés (équipement militaire, etc) ».

Résiliation exigée

À la Chambre des communes, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois ont continué à réclamer l'annulation du contrat de véhicules blindés intervenu en 2014 entre la compagnie General Dynamics Land System et l'Arabie saoudite.

Le député néo-démocrate Guy Caron a accusé le premier ministre de lancer « n'importe quel montant » et d'« inventer (des) chiffres » simplement « pour éviter d'annuler ce contrat » prévoyant la livraison d'un nombre indéterminé de véhicules blindés.

Poser ce geste entraînerait fort probablement des conséquences financières, d'après Bernard Colas, avocat spécialisé en droit du commerce international, qui se base sur son expérience en la matière.

« Il est possible que l'acheteur ait demandé des garanties gouvernementales, donc garantir que General Dynamics va être capable de livrer. C'est difficile à déterminer, mais moi, si j'étais un acheteur, j'essaierais d'attacher le politique à tout ça », a-t-il noté en entrevue.

Car « une des façons de s'assurer de la bonne livraison, malgré les obstacles politiques et autres qui peuvent intervenir, c'est d'imposer des pénalités, des dommages punitifs qui n'ont pas besoin d'être évalués, qui sont juste prédéterminés », a ajouté l'avocat.

Et l'Arabie saoudite a fort probablement cherché à limiter le risque « d'avoir des délais, des retards, dans la livraison, parce qu'il y a une guerre en ce moment - ou en tout cas, il y a des activités de sécurité à déployer », a noté Me Colas.

Nécessaire mobilisation

Depuis le meurtre du journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi dans un consulat à Istanbul, le 2 octobre, la communauté internationale multiplie les pressions sur le régime de Mohammed ben Salmane.

Certains pays, comme l'Allemagne, ont signalé leur intention de mettre fin aux ventes d'armes au royaume. Le premier ministre néerlandais qui rendait visite à Justin Trudeau jeudi a quant à lui récemment invité ses alliés de l'Union européenne à resserrer les règles entourant ce commerce.

« Les Pays-Bas utilisent un cadre très restrictif en matière de ventes d'armes avec l'Arabie saoudite depuis quelques années. La semaine dernière, à la rencontre du Conseil européen, j'ai plaidé auprès de mes collègues de fonctionner de la même façon », a exposé M. Rutte.

Son vis-à-vis canadien a continué à parler de la nécessité d'offrir une réponse « concertée » à cette affaire. Il a en outre discuté du cas Khashoggi avec la chancelière allemande Angela Merkel, mercredi, puis avec le premier ministre japonais, Shinzo Abe, jeudi.