Le cabinet du premier ministre Justin Trudeau a déjà prévu une «cellule de crise» au cas où le président américain, Donald Trump, décidait de torpiller l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) dans le cadre de sa renégociation.

Le gouvernement canadien a créé une «équipe de choc», composée de deux anciens hauts responsables du commerce, de deux proches conseillers du premier ministre, d'un ambassadeur, d'un commentateur politique et d'une ministre. Cette équipe sera dirigée par un plus jeune qui a la réputation, au sein du personnel politique, de savoir garder la tête froide en période de crise.

Cette cellule pourra se mettre à l'oeuvre si le président Trump décide par exemple de renoncer à l'ALENA, ce qu'il pourrait faire dans le feu des négociations, pour exercer une pression. Un scénario hautement plausible, selon l'avocat Dan Ujczo, qui a observé attentivement la première ronde de négociations, la semaine dernière à Washington. «La menace de quitter la table constitue le principal levier de négociations» de M. Trump, estime le spécialiste en droit commercial.

Un ancien haut responsable américain du commerce estime même que le président a montré un peu trop d'empressement à abattre sa meilleure carte dès le mois d'avril, ce qui l'a plutôt affaibli. Robert Holleyman, représentant américain au Commerce adjoint de Barack Obama, croit qu'il s'agit d'une erreur de stratégie, car les adversaires canadiens et mexicains connaissent déjà les effets d'un retrait éventuel - le milieu des affaires a paniqué, les élus ont été choqués, et Washington a assuré qu'il voulait sauver l'ALENA.

«Vous devriez garder cette carte dans votre main jusqu'à la toute dernière minute, pas la brandir avant d'arriver à la table! J'ai maintenant l'impression que le président Trump ne pourra plus utiliser cette carte à nouveau - ou s'il le fait, elle aura moins d'impact sur la partie: les Canadiens et les Mexicains pourront alors évoquer le spectre d'une vive réaction au Congrès.»

Alliés stratégiques

Car le Congrès pourrait refuser d'abolir la loi de mise en oeuvre de l'ALENA actuel, ce qui placerait le traité commercial dans un flou juridique, au milieu de contestations et de poursuites.

C'est précisément le scénario que l'«équipe de choc» à Ottawa tenterait d'éviter. Déjà, on s'affaire à colliger des données, notamment sur l'opinion des élus américains, à tisser des liens avec d'éventuels alliés stratégiques, et à prévoir une contre-offensive efficace et prompte. De nombreux ministres canadiens ont fait le voyage plusieurs fois au cours des récents mois pour bâtir des liens qui pourraient servir en cas de crise.

L'idée d'une telle «cellule de crise» a été suggérée, avant même l'assermentation du président Trump, par deux membres de la garde rapprochée du premier ministre Trudeau, Gerald Butts et Katie Telford. Ils travailleront notamment en collaboration avec la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland (aussi ministre responsable du commerce avec les États-Unis), l'ambassadeur canadien David MacNaughton et l'ancien chroniqueur Michael Den Tandt.

Ils seront chapeautés par Brian Clow, qui était chef de cabinet de Mme Freeland lorsqu'elle était ministre du Commerce international. M. Clow s'est fait remarquer chez les libéraux fédéraux pour son tempérament calme et sa grande efficacité lors de la campagne électorale de 2015.

L'«équipe de choc» s'est déjà entraînée sur le terrain, lorsque le président Trump s'en est pris à l'industrie canadienne du lait et à celle du bois d'oeuvre. Les Canadiens ont conservé leur calme et ont répliqué avec des statistiques et des coups de fil: la température a rapidement baissé et les choses se sont tassées.

La semaine dernière encore, dès le début de la première ronde de négociations, des représentants canadiens distribuaient des fiches d'information en coulisses pour déboulonner les allégations de la partie américaine au sujet de prétendus surplus commerciaux du Canada.

La prochaine ronde de négociations se tiendra à Mexico du 1er au 5 septembre; une troisième ronde est prévue au Canada à la fin du même mois.

Les Autochtones devront être considérés, dit l'APN

L'inclusion d'un chapitre sur les Autochtones dans un nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) pourrait nécessiter l'appui des différentes communautés autochtones aux États-Unis et au Canada, selon le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde.

Les Autochtones avaient été exclus des négociations de libre-échange dans les années 1990, a rappelé lundi M. Bellegarde, qui s'est dit ravi de voir qu'Ottawa travaillait à changer cela alors que les gouvernements du Mexique, des États-Unis et du Canada sont en train de discuter d'une nouvelle entente.

Le dirigeant autochtone, qui fait partie d'un comité consultatif sur l'accord, estime qu'il y a un «certain niveau d'instabilité» à la Maison-Blanche en ce moment, et il encourage donc le gouvernement canadien à accroître la pression sur les États-Unis pour qu'ils passent à l'action.

M. Bellegarde souligne que le gouvernement devrait aussi travailler avec les communautés autochtones aux États-Unis et au Canada.

Selon lui, le Canada est un chef de file puisqu'il a pensé à inclure et impliquer les peuples autochtones dans des négociations commerciales internationales.

M. Bellegarde plaide que le nouveau chapitre sur les Autochtones apporterait plus de stabilité économique aux trois pays.

«Cela ouvre aussi la porte à des occasions potentielles de développement économique pour les peuples autochtones, tout en s'assurant que nous trouvions un bon équilibre entre l'environnement et l'économie», a-t-il ajouté.

La semaine dernière, lorsque la première ronde de négociation a commencé, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a remercié personnellement M. Bellegarde pour sa suggestion de créer un chapitre qui portera spécifiquement sur les droits des Autochtones.

«J'en ai parlé avec des responsables et ils étaient très enthousiastes à ce sujet», avait déclaré la ministre à Ottawa.

Le gouvernement fédéral tente en ce moment de déterminer comment les termes de l'accord pourront appuyer le développement économique des Autochtones et respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Cet été, l'International Inter-Tribal Trade and Investment Organization - un groupe d'experts autochtones et non-autochtones - avait aussi demandé à Affaires mondiales Canada de créer un chapitre consacré aux Autochtones, qui comprendrait une plus grande protection de la propriété culturelle et des connaissances traditionnelles.

Risa Schwartz, avocate et chercheuse au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, dit être agréablement surprise par l'ouverture de la ministre Freeland.

Mme Schwartz croit que ce chapitre n'est pas une priorité pour les États-Unis, mais selon elle, le Mexique pourrait se montrer plus intéressé.

«Si on regarde l'histoire de l'ALÉNA, il y a eu un immense tollé de la part des peuples autochtones au Mexique en 1994, alors il y a peut-être une conversation plus sérieuse à avoir avec le Mexique à ce point-ci», a-t-elle déclaré.