Le Canada doit s'attendre à traverser une zone de fortes turbulences dans ses relations commerciales avec les États-Unis, peu importe le résultat de l'élection présidentielle de mardi, préviennent les diplomates canadiens en poste à Washington.

Dans une récente analyse envoyée au ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, ils soulignent que le candidat républicain Donald Trump et la candidate démocrate Hillary Clinton épousent tous les deux des politiques protectionnistes qui risquent de mettre à rude épreuve les relations entre le Canada et les États-Unis.

Qu'il s'agisse de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), de l'avenir du Partenariat transpacifique (PTP) ou de l'application de la clause Buy America, Donald Trump et Hillary Clinton ont défendu des positions comparables en matière de commerce international, constatent les diplomates canadiens dans leur analyse que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

M. Trump et Mme Clinton ont affirmé avoir l'intention de renégocier l'ALENA - accord conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994 - afin d'arracher de meilleures conditions pour les États-Unis. Rompant avec la tradition du Parti républicain, historiquement favorable au libre-échange, M. Trump s'est même dit prêt à déchirer cet accord s'il n'obtient pas des concessions.

CONTRE LE PTP

Les deux aspirants à la Maison-Blanche se sont prononcés contre la ratification du Partenariat transpacifique (PTP), cet ambitieux accord conclu à l'automne 2015 et qui regroupe 12 pays (Canada, États-Unis, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Viêtnam, Singapour, Brunei, Australie et Nouvelle-Zélande). L'ensemble de ces pays compte 800 millions d'habitants et représente 40 % du PIB mondial. Le PTP, s'il est ratifié par les 12 pays, permettrait de créer la plus grande zone de libre-échange dans le monde.

Enfin, Hillary Clinton et Donald Trump ont tous les deux indiqué avoir l'intention d'appliquer la clause Buy America dans l'exécution des grands projets d'infrastructures, ce qui forcerait les entreprises retenues pour les réaliser à utiliser des matériaux produits aux États-Unis, notamment l'acier. Cette mesure avait été imposée par le Congrès après la crise économique de 2008 dans le cadre du programme de relance du président Obama afin de soutenir les entreprises américaines.

Ces positions résolument protectionnistes se retrouvent dans le programme politique du Parti démocrate et dans celui du Parti républicain, ont pris soin de souligner les diplomates canadiens. 

« Bien qu'ils diffèrent sur les détails et la méthodologie, les deux programmes politiques ont beaucoup de choses en commun quand on analyse les principes sous-jacents. Cela est particulièrement vrai sur le commerce, alors que les deux partis l'appuient en principe, mais jugent que les autres pays se comportent d'une manière qui est injuste et contraire aux intérêts supérieurs des États-Unis », peut-on lire dans les documents envoyés au ministère des Affaires étrangères le 9 septembre.

« Ces programmes politiques suggèrent l'émergence d'un ton plus protectionniste et, dans une certaine mesure, comportent une perspective défavorable au commerce. En soi, cela illustre les obstacles qui surgissent sur la route menant à la libéralisation des échanges », peut-on lire dans l'analyse.

Les diplomates prennent soin toutefois de souligner que le Congrès devrait avaliser certaines des mesures contenues dans les programmes politiques des deux principaux partis, feu vert qui n'est pas nécessairement acquis.

D'AUTRES INQUIÉTUDES

Cela dit, les diplomates canadiens en poste à Washington signalent trois autres voyants rouges dans le cas d'une victoire du candidat républicain Donald Trump.

D'abord, ce dernier s'est montré peu enclin à négocier un nouvel accord sur le bois d'oeuvre entre le Canada et les États-Unis. Ensuite, il a mis en doute la solidarité des pays membres de l'OTAN en affirmant qu'il veillerait à ce que les pays de l'Alliance paient leur juste part des budgets. Les pays qui ne paient pas leur juste part n'obtiendraient pas l'appui des États-Unis en cas d'attaque d'un ennemi - même si cela fait partie du credo de l'OTAN. Enfin, Donald Trump fait partie des climatosceptiques. Une administration Trump pourrait retirer les États-Unis de l'accord de Paris sur les changements climatiques.

TRUDEAU REFUSE D'AFFICHER SES COULEURS

Depuis le début de la course à la présidence, le premier ministre Justin Trudeau et les principaux ministres de son gouvernement se sont bien gardés de s'immiscer dans la campagne. Encore cette semaine, M. Trudeau a dit être prêt à travailler avec la personne que les électeurs américains éliront pour occuper la Maison-Blanche, le 8 novembre. « C'est certain que chaque fois que les Américains élisent un nouveau président, il y a des ajustements à faire. Il y a un besoin de défendre les préoccupations, les intérêts économiques et sociaux des Canadiens. C'est ce à quoi les gens s'attendent de moi. En tant que premier ministre, je ne veux pas me prononcer pour ou contre quelqu'un avec qui je vais peut-être devoir travailler quelques mois. La réalité, c'est que ma responsabilité, c'est de pouvoir bien travailler avec la personne qui sera élue, et c'est exactement ce que je vais faire », a affirmé le premier ministre cette semaine.

- Avec William Leclerc, La Presse