En dépit du cabinet paritaire de Justin Trudeau, le Canada occupe le 60e rang mondial pour le pourcentage de femmes au Parlement. L'Union interparlementaire, qui oeuvre en étroite collaboration avec l'Organisation des Nations unies, le place tout juste derrière le Kazakhstan.

Une situation qui ne se résorbera pas sans l'imposition de quotas, estiment plusieurs experts et groupes de pression. «Les pays en haut de ce classement-là ne s'y trouvent pas par le fruit du hasard», fait valoir Chantal Maillé, professeure à l'Institut Simone de Beauvoir de l'Université Concordia.

L'organisme d'éducation populaire québécois Groupe Femmes, Politique et Démocratie, qui forme, soutient et accompagne des aspirantes politiciennes depuis plus d'une décennie, a récemment monté ses revendications d'un cran. Constatant que «la parité n'advient pas «naturellement'», l'organisme réclame maintenant une loi pour imposer une zone de mixité égalitaire de 40 % à 60 %.

Chantal Maillé rejette l'idée que les femmes soient responsables de leur propre sous-représentation, faute d'assurance ou d'ambition, mais qu'il s'agit plutôt de discrimination systémique.

Car ce n'est pas l'électorat qui serait à blâmer pour le manque de diversité de ses représentants, soutient le politologue Réjean Pelletier. Il assure que les candidatures féminines ne sont pas victime de préjugé défavorable au scrutin puisqu'«on vote pour un parti et son chef avant tout».

Alors pourquoi les femmes, dominantes sur les bancs d'université, sont-elles moins nombreuses à briguer les suffrages?

D'abord, la Chambre des communes n'est «pas un lieu convivial pour les femmes enceintes», affirme l'ex-députée d'Ahuntsic Maria Mourani. Faute de pouvoir prendre un congé de maternité en tant qu'élue fédérale, elle raconte avoir confié son bébé naissant à sa mère, qui avait dû la suivre à Ottawa. Concilier travail et famille n'a pas été chose facile pour Mme Mourani, qui se rappelle s'être battue pour l'installation de tables à langer dans les toilettes les plus accessibles aux parlementaires.

De plus, les élues n'ont pas droit au même respect que leurs collègues masculins, maintient la directrice de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF) de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Rachel Chagnon ne s'étonne plus des scandales comme celui qu'a déclenché la députée de Calgary Michelle Rempel, en dénonçant le sexisme sur la colline du Parlement. C'est du déjà-vu pour l'experte en féminisme et politique publique: elle évoque le cas de la députée provinciale Sylvie Roy, qui avait été traitée en chambre de «grosse crisse» en 2011 - par un ministre. Pas de quoi rendre l'arène politique plus attrayante, renchérit Chantal Maillé.

Pour sa part, l'ex-ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet est d'avis que l'Assemblée nationale est un milieu de travail «comme les autres» - mais «un peu plus intense», tout de même - et n'est donc pas à l'abri du sexisme.

Le temps arrange les choses?

Soixante-douze ans se sont écoulés entre l'obtention du droit de vote et d'éligibilité par les Québécoises puis l'élection de Pauline Marois à la tête de la province. L'égalité accuse-t-elle un retard? Rachel Chagnon écarte la question: «Ce n'est pas vrai que l'évolution d'une société se fait parce que c'est dans l'ère du temps».

Il y a même un recul du nombre d'élues au Salon bleu, rapporte le politologue Réjean Pelletier. «On pensait qu'il y aurait une progression constante, mais là c'est stagnant», déplore-t-il. En fait, la croissance du nombre de députées a connu une fin abrupte en 2007. Aux dernières élections, le pourcentage de femmes a même chuté de près de 6 %.

La députée Martine Ouellet est partisane de la théorie de la «masse critique» selon laquelle les politiciennes seront un jour en assez grand nombre pour influencer les façons de faire.

De son côté, Rachel Chagnon croit plutôt qu'une «masse critique» attise les tensions. «Une seule femme, c'est comme un objet exotique: ce n'est pas une menace. Je pense que le climat a changé pour les femmes politiques le jour où les hommes ont compris qu'il y en aurait deux, dix, vingt et peut-être plus demain», estime Mme Chagnon.

Pour la directrice de l'IREF, la «sur-sur-surreprésentation des hommes blancs, chrétiens, dans la cinquantaine» dénoncée par la professeure Chantal Maillé est attribuable au fait «qu'ils se recrutent entre eux». Comment combattre cette «paresse» des formations politiques?

Avec la solution des quotas vient l'inquiétude que la parité soit réalisée au détriment d'hommes qualifiés. «Présupposant que tous les hommes qu'on nomme ministres sont nécessairement compétents...», ironise Mme Chagnon.

Ce qui s'impose comme une évidence pour la féministe ne crée toutefois pas de consensus, bien au contraire. La ministre de la Condition féminine, Lise Thériault - qui dans une récente entrevue à La Presse Canadienne avait pour conseil aux femmes: «Let's go, vas-y!» -, compte parmi celles qui s'opposent aux quotas de candidatures féminines.

Par ailleurs, les annonces de cabinets formés à parts égales d'hommes et de femmes n'impressionnent aucunement la bloquiste puis néo-démocrate Maria Mourani, qui les qualifie même de «shows». Après tout, les 15 femmes nommées au cabinet paritaire de Justin Trudeau «parce qu'on est en 2015» proviennent d'une législature constituée à seulement 26 % de politiciennes.

Néanmoins, Chantal Maillé, de l'Institut Simone de Beauvoir, pose un regard optimiste sur l'avenir des femmes en politique. Elle constate un certain «momentum» et une «réception plus favorable» à l'idée des quotas. «En Amérique du Nord, on est en retard. On n'a pas réalisé à quel point le reste du monde a changé.»