La porte a été très légèrement ouverte, mais on ne voit pas encore beaucoup de lumière. La ministre responsable de la Charte de la langue française, Diane De Courcy, n'exclut pas de faire des concessions pour rallier la Coalition avenir Québec (CAQ) à son projet de loi 14, qui doit renforcer la protection du français. Et la CAQ se montre toujours inflexible.

Au terme de l'étude en commission parlementaire de 86 mémoires, dont plusieurs critiques, elle constate que «des sensibilités ont été révélées». «Je vais en tenir compte», promet-elle.

Mais elle n'indique pas si les articles critiqués seront abandonnés ou amendés. «Il est trop tôt aujourd'hui pour le dire», explique-t-elle.

Le bras de fer se poursuit. Les libéraux sont fermement opposés à cette approche «coercitive» qui «augmente la paperasse» pour les entreprises et enlève certains «droits acquis». Leur député Geoffrey Kelley promet de faire son «devoir parlementaire» à l'étude détaillée du projet de loi, ce qui pourrait inclure de l'obstruction. Il souhaite même qu'on renonce à l'étude détaillée.

Minoritaire, le gouvernement péquiste a donc besoin de l'appui de l'opposition caquiste. Le chef François Legault a posé trois conditions sine qua non: préserver les privilèges des enfants de militaires, qui peuvent fréquenter le réseau public anglophone. Maintenir le statut bilingue des municipalités qui comptent moins de 50% d'anglophones. Et seulement inciter les PME à utiliser le français au lieu de les assujettir à la loi 101 et à ses «obligations administratives».

Selon la procédure, les parlementaires doivent accepter à la majorité qu'on fasse la longue étude détaillée du projet de loi, étape nécessaire avant son adoption. Mais la CAQ n'a même pas encore confirmé qu'elle accepterait de faire cette étude. Les libéraux sont contre.

La ministre De Courcy a continué hier de défendre chacune des mesures de son projet de loi. Elle n'a pas répondu en anglais aux questions des médias anglophones, alors que les libéraux ont dérogé à l'habitude en faisant une déclaration bilingue à l'Assemblée nationale. Et la CAQ a gardé le silence. Elle en débattra la semaine prochaine en caucus.

Faits saillants

- Assujettir les entreprises de 26 à 49 employés à la loi 101.

- Affirmer le droit fondamental de «vivre et travailler» en français dans la Charte québécoise des droits et libertés.

- Faire du français la langue «normale et habituelle» des communications de l'État, des organismes gouvernementaux, des municipalités et des établissements scolaires et de santé.

- Donner plus de poids à la maîtrise du français dans la grille de sélection des immigrants.

- Retirer le statut bilingue aux municipalités qui comptent moins de 50% d'anglophones.

- Rendre un diplôme au secondaire ou collégial conditionnel à la réussite d'un cours de français.

- Rehausser les exigences en français pour accéder à un ordre professionnel.

Les Critiques

Des entrepreneurs

Les milieux d'affaires contestent les nouvelles contraintes qu'on leur propose. Ils s'inquiètent plus pour leur compétitivité que pour le français, qui serait bien protégé selon eux par «l'équilibre» actuel.

La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) s'objecte à ce qu'on oblige les petites entreprises à implanter des mesures de francisation. Elles craignent le pouvoir d'enquête et de saisie qu'on octroierait à l'Office québécois de la langue française. Même constat du Conseil québécois du commerce et du détail. La chambre de commerce de Montréal métropolitain estime quant à elle que la nouvelle loi pourrait «restreindre le bassin de main-d'oeuvre potentiel».

Le bilinguisme au travail ne les inquiète pas. Même s'il progresse, cela ne signifie pas que le français recule, croit la FCEI.

Des anglophones

Le Quebec Community Groups Network craint qu'on limite la capacité des établissements québécois de fournir légalement des services en anglais. Il dénonce la nouvelle «clause interprétative» de la Charte des droits et libertés qui «entérinerait le droit de travailler en français».

L'Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ), qui compte quelque 100 000 élèves, croit que son nombre d'inscriptions diminuerait, ce qui menacerait la survie de ses établissements. Une crainte non fondée, selon la ministre De Courcy.

L'ACSAQ regrette aussi que l'admission aux cégeps anglophones serait réservée en priorité aux anglophones. La Fédération des cégeps du Québec y voit elle aussi une «discrimination».

Les anglophones veulent préserver le statut bilingue acquis de certaines municipalités. Une position appuyée par la Fédération québécoise des municipalités et l'Union des municipalités du Québec.

Des militants pour le français

Minoritaire, le gouvernement Marois a renoncé à interdire les écoles passerelles et à appliquer la loi 101 aux cégeps et aux écoles professionnelles. C'est insuffisant, croient le Mouvement Québec français et Impératif français.

Ils voudraient que les services de l'État et des organismes publics soient offerts «uniquement» en français. Les hôpitaux anglophones seraient donc interdits. Il y a selon eux «obligation d'apprendre» la langue commune. Le «bilinguisme institutionnel» mènerait à l'assimilation des francophones.

Deux syndicats, la CSN et la SFPQ, les accompagnaient à l'Assemblée nationale la semaine dernière quand ils ont exprimé cette position. Ces syndicats veulent qu'on investisse davantage pour franciser les immigrants et les entreprises.