Le Parti conservateur est devenu précisément ce qu'il cherchait à combattre en venant à Ottawa, accuse le député albertain Brent Rathgeber pour expliquer sa décision de quitter le caucus conservateur mercredi soir.

Dans un texte lapidaire publié sur son blogue personnel jeudi, il dénonce l'opacité du gouvernement et le pouvoir démesuré qu'exercent le premier ministre et de son personnel sur les élus du Parlement. 

«Les députés dociles ne font qu'exécuter ce que le personnel du premier ministre leur ordonne de faire, a-t-il écrit. Que le bureau du premier ministre opère de manière si opaque, sans supervision, est un affront aux obligations constitutionnelles de gouvernement responsable et c'est aussi la genèse de l'actuelle débâcle Wright/Duffy.» 

Celui qui siégera désormais comme indépendant a ainsi cité l'exemple « extrêmement troublant » du scandale des dépenses au Sénat et de la réponse du gouvernement comme un symptôme du problème. 

«J'ai joint le mouvement réformiste/conservateur  parce que je croyais que nous étions différents, une bande d'«outsiders» arrivant en ville pour nettoyer la place, faisant la promotion du gouvernement ouvert et de l'imputabilité. Je nous reconnais à peine, et pire, je crains que nous nous soyons métamorphosés en ce dont nous nous moquions.» 

La décision du gouvernement d'édulcorer son projet de loi pour forcer une plus grande transparence des ministères et des sociétés d'État a été «la goutte d'eau qui a fait déborder le vase», a précisé M. Rathgeber. Son initiative visait à modifier la Loi sur l'accès à l'information pour forcer la divulgation des dépenses et des revenus des hauts salariés de l'État. 

Le bureau du premier ministre Harper a mis le député au défi de soumettre sa décision aux électeurs. 

«La population d'Edmonton-St-Albert a élu un député conservateur, a indiqué sur Twitter mercredi le porte-parole du premier ministre, Andrew MacDougall. M. Rathgeber devrait démissionner et se présenter dans une élection partielle.»  

Autre tuile 

C'est une autre tuile qui s'abat sur le gouvernement Harper, dans la foulée du scandale des dépenses du Sénat et d'autres controverses ou désaccords qui secouent le Parti conservateur ces jours-ci. 

Dans une lettre ouverte publiée dans La Presse la semaine dernière, l'ancienne chef de cabinet, Émilie Potvin, a elle aussi dénoncé ses valeurs conservatrices de plus en plus «bafouées» par le gouvernement Harper. 

«La mentalité paranoïaque et la manie du secret qui caractérisent le gouvernement ont favorisé les comportements déviants auxquels nous sommes exposés aujourd'hui», a accusé Mme Potvin en parlant de la crise au Sénat. 

Le ministre de l'Immigration Jason Kenney, d'ordinaire omniprésent dans les affaires du Parlement et du gouvernement, a été invisible depuis le début de cette crise et cette absence a déjà été relevée dans certains médias. M. Kenney est un aspirant connu à la succession de M. Harper. 

Hier, un autre ministre, celui de la Défense Peter MacKay, a soulevé la possibilité de quitter le parti si le mode de sélection du prochain chef était modifié au prochain congrès de la formation qui se tiendra à Calgary à la fin du mois. M. MacKay dirigeait le Parti progressiste-conservateur lors de sa fusion controversée avec l'Alliance canadienne. 

À Ottawa, enfin, des rumeurs et critiques du leadership de Stephen Harper circulent depuis plusieurs mois et se font de plus persistantes.  

Électron libre 

Brent Rathgeber, pour sa part, fait depuis longtemps figure d'électron libre dans les rangs conservateurs. 

Il fait partie de la dizaine de députés qui se sont insurgés contre la mainmise de Stephen Harper sur les déclarations que prononcent les députés en Chambre, plus tôt ce printemps. 

Le député à l'origine de cette fronde, Mark Warawa, a d'ailleurs rendu hommage à M. Rathgeber sur son compte Twitter. «Brent, vous êtes un homme d'intégrité et vous serez regretté», a-t-il écrit. 

L'automne dernier, M. Rathgeber a aussi voté contre le projet de loi privé C-377, qui obligerait les syndicats à dévoiler une série d'informations financières. M. Harper et la vaste majorité des députés conservateurs avaient appuyé cette initiative.