Tandis qu'Ottawa multiplie les démentis, les preuves s'accumulent relativement au passage en sol canadien d'appareils affrétés par la CIA pour transférer illégalement, en toute discrétion, de présumés terroristes.

Une banque de données novatrice consultée par La Presse indique qu'une vingtaine d'avions ayant été liés au programme américain ont fait escale au pays dans les années suivant les attentats du 11 septembre 2001, lors d'opérations jugées suspectes par un groupe de chercheurs anglais.

Au moins quatre d'entre eux effectuaient un arrêt de ravitaillement en route vers les États-Unis après avoir transféré des prisonniers - dont l'identité est aujourd'hui connue - d'un site stratégique à l'autre outre-Atlantique.

Des chercheurs des Universités Kent et Kingston, de concert avec l'organisation de défense des droits de la personne Reprieve, ont réuni et recoupé tous les renseignements accessibles relativement au programme des services de renseignements américains avant de les rendre accessibles par un moteur de recherche dévoilé il y a quelques jours.

«Il y avait beaucoup d'informations disponibles quand nous avons commencé à travailler là-dessus il y a trois ans, mais tout était dispersé. Il est rapidement devenu évident qu'il fallait tout regrouper pour augmenter notre capacité d'analyse du programme», a expliqué en entrevue le Dr Sam Raphael, l'un des chercheurs responsables du Rendition project.

Il est possible d'obtenir en quelques étapes simples tous les circuits de vols touchant un pays donné par l'entremise de la banque de données, accessible au www.therenditionproject.org.uk.

Dans le cas du Canada, le moteur de recherche de la base de données permet d'en identifier 27, empruntés par une vingtaine d'appareils distincts, qui sont considérés comme étant d'un grand intérêt par les chercheurs.

Dans un des cas, un avion portant le numéro d'identification N288KA, affrété par la firme Computer Sciences Corporation, a déplacé un prisonnier, Janat Gul, de Kaboul à Bucarest en juillet 2004. L'appareil est ensuite revenu à Washington en passant par Terre-Neuve.

Un ressortissant algérien, Laid Saidi, a parallèlement été transféré d'Afghanistan en Tunisie en juin 2004 à bord de l'appareil N982RK. L'appareil a fait escale ensuite à Terre-Neuve, en route vers les États-Unis. La base de données du Rendition project permet d'accéder à divers documents relatifs à cette opération, incluant une facture confirmant le ravitaillement à Gander.

Le Canada, un rouage important

Alors qu'un nombre restreint de cas concernent des transferts connus et documentés, la plupart des circuits relevés sont considérés comme «suspects» ou «hautement suspects». Cette classification signifie que les trajets utilisés et les dates des vols suggèrent qu'ils étaient liés à des transferts illégaux ou à des opérations de soutien logistique découlant du programme de la CIA.

M. Raphael estime que le nombre de circuits recensés pour le Canada indique que le pays constituait un rouage logistique important pour les services de renseignements américains.

Il espère que les autorités fédérales se saisiront de nouveau du dossier afin de faire toute la lumière à ce sujet. «Jusqu'à maintenant, la plupart des gouvernements concernés dans le monde ont maintenu un silence total sur leur rôle», déplore le chercheur anglais.

Le ministère fédéral de la Sécurité publique se borne à répéter, en utilisant la même phraséologie, qu'aucune irrégularité n'a été relevée « jusqu'à maintenant » dans ce dossier. Le gouvernement n'a pas précisé à quel moment remontaient les plus récentes vérifications.

Une enquête avait été menée par Ottawa au sujet du passage présumé d'avions de la CIA en 2005, mais les organisations de défense des droits de la personne avaient dénoncé sa superficialité en relevant que les vérifications portaient uniquement sur les plans de vol, sans aucun contrôle auprès des compagnies responsables. De nombreux détails sur le programme américain et ses victimes ont été divulgués par la suite.