Pour devenir économiste en chef d’une grande institution financière, il faut cocher plusieurs cases : avoir l’amour de sa profession, de l’ambition à revendre et un important bagage d’expérience. Sachant cela, le parcours de Frances Donald est encore plus remarquable. À 33 ans, la Montréalaise d’origine a récemment été nommée économiste en chef de Manuvie. Elle est notre personnalité de la semaine.

Une conversation avec Frances Donald suffit pour se défaire de l’image austère que l’on pourrait avoir du métier d’économiste. Jointe au téléphone à Toronto, où elle est installée depuis plusieurs années, elle raconte comment elle tente de transformer sa profession, à sa manière.

« Historiquement, être économiste, c’était faire des journées de 12 heures, assis à son bureau, sans flexibilité aucune. Mais je crois qu’il est possible de changer le monde de la finance, dit-elle. Je veux montrer qu’on peut venir de différents milieux, avoir une famille et, en fin de compte, avoir une vie. »

La conciliation travail-famille est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. En plus d’être économiste en chef, Frances Donald a un deuxième métier, tout aussi exigeant : mère d’un petit garçon de 3 ans.

Cette sensibilité de maman s’ajoute à celle de l’âge. La jeune trentenaire fait fièrement partie de la génération des milléniaux. Être milléniale, dit-elle, lui offre une perspective unique sur des enjeux qui se trouvent dans l’angle mort de ses collègues, dont plusieurs ont amorcé leur carrière avant même qu’elle ne voie le jour.

Le commerce en ligne, le coût de la vie en ville, l’école privée ou publique, la location ou l’achat d’un logement, les services aux enfants, « très problématiques à l’extérieur du Québec », sont parmi les questions qui définissent la vie des milléniaux.

« Je serais surprise si c’était le genre de questions que se posent les autres économistes en chef », dit-elle.

Destinée aux chiffres ?

Frances Donald est née à Montréal et a grandi dans l’Ouest-de-L’île. Elle a reçu son enseignement primaire en français, à l’école Beaconsfield. Au beau milieu de l’entrevue, sans crier gare, l’économiste d’origine montréalaise se met d’ailleurs à parler durant quelques minutes dans un français qui rendrait fier Camille Laurin.

J’ai une coach de français avec qui j’ai des rendez-vous chaque semaine pour m’améliorer, en particulier pour mes présentations. C’est important pour moi de pouvoir parler de l’économie en français.

Frances Donald

À Toronto, souligne-t-elle, ce n’est pas tous les jours qu’elle a la chance de s’exprimer dans la langue de Molière, d’où le besoin de cours privés pour ne pas perdre ce qu’elle a appris au primaire. Dans le monde de la finance, c’est surtout la langue de Shakespeare qui a la cote.

Qu’à cela ne tienne. « Le fait de pouvoir communiquer en français devrait être fortement encouragé chez les économistes en chef au Canada », dit-elle.

Les mathématiques n’ont jamais été son fort. Elle avait de la difficulté, a eu recours aux services d’un tuteur, mais a néanmoins obtenu son baccalauréat et sa maîtrise dans un domaine où les maths sont le langage universel.

Aujourd’hui, elle passe son temps à travailler avec des chiffres, mais elle en est la première surprise. Plus jeune, elle faisait du théâtre, adorait l’art, se voyait violoniste.

Je n’ai jamais envisagé de devenir économiste. Je me voyais plutôt comme quelqu’un qui raconterait des histoires, rencontrerait les gens intéressants pour discuter du monde.

Frances Donald

Mais l’économie, a-t-elle découvert, c’est beaucoup plus qu’une suite de tableaux dynamiques dans Excel. Il faut voir l’humanité à travers les rangées et les colonnes de chiffres. Et pour cela, il faut un certain talent et une grande sensibilité aux soucis des autres.

« Les meilleurs économistes sont ceux qui peuvent regarder des données et vous raconter ce que ça veut vraiment dire. Et parfois, pour faire ça, il faut de la créativité. »

Inspiration

Des conseils pour les jeunes hommes et jeunes femmes qui ont l’intention de devenir économistes en chef ?

« Je dis toujours aux jeunes de ne pas rejeter l’économie parce qu’ils ne se sentent pas assez forts en maths. Être une bonne économiste, ça va beaucoup plus loin que de collectionner les A au baccalauréat et à la maîtrise. »

Le plafond de verre est déjà brisé depuis un certain temps, selon elle. Mais il ne fait aucun doute qu’avec un tel parcours, les aspirantes économistes pourront trouver en Frances Donald une source d’inspiration comme il y en a rarement eu dans leur domaine… jusqu’ici.

Frances Donald en quelques choix

Un livre L’économie mondiale en 50 inventions de Tim Harford

Un personnage historique Margaret Thatcher

Un personnage contemporain Ruth Bader Ginsburg

Une phrase « Si tu as plus que ce dont tu as besoin, construis une table plus longue, pas une plus haute clôture. »