La poète et réalisatrice innue a depuis toujours les deux pieds bien ancrés sur Terre, attachée aux racines de ses ancêtres nomades. Admiratrice de la langue innue et du français, elle a récemment été récompensée par le Prix des libraires du Québec pour la qualité de son dernier recueil. Joséphine Bacon est notre personnalité de la semaine.

« Chaque fois que je gagne un prix, c’est comme si c’était la première fois », me dit Joséphine Bacon, quand je la félicite pour le grand prix que les libraires du Québec viennent de lui décerner afin de souligner l’excellence de sa poésie et de son dernier recueil, Uiesh – Quelque part.

« Merci beaucoup. »

La poète et réalisatrice innue est en entrevue au bout du fil. Elle habite Montréal, mais s’est rendue sur la Côte-Nord pour un documentaire que la réalisatrice Kim O’Bomsawin tourne sur elle actuellement. Elle vient de revoir des gens qu’elle connaît bien, par hasard. Ou pas du tout, en fait. La femme de 72 ans, née à Pesamit, entre Forestville et Baie-Comeau, est chez elle, dans son univers. Elle suit ses propres traces, celles de ses ancêtres, celles de son peuple, un premier peuple.

La poète n’est pas loin de ce dont elle parle dans ses écrits : Nutshimit, ce vaste espace derrière les rives du Saint-Laurent et du Saguenay, vers le nord, vers l’ouest, où son peuple, nomade, vivait jadis pendant les saisons plus froides avant de revenir sur les côtes l’été. 

Des terres de chasse et de pêche, de cueillette, où ils trouvaient tout ce qu’il fallait pour vivre. « Ils transportaient leur maison avec eux, explique-t-elle. Quand tu es nomade, tu marches, tu vas aussi loin que l’animal qui te nourrit. »

Ils se déplaçaient en canot, l’hiver ils tiraient des traîneaux. Ils portageaient. 

Son père adoptif, qui était chasseur, bûcheron, draveur, lui parlait des arbres de Nutshimit. « Il me disait qu’ils nous parlaient quand on savait les écouter. » 

« Je sais que Marie-Louise, une aînée, m’a dit un jour que, si elle avait eu le choix, malgré l’eau courante et l’électricité et toute la facilité de la vie sédentaire, elle serait retournée comme nomade », raconte Joséphine Bacon.

« Nutshimit est un mot qui ne se met pas au possessif, ajoute la poète. C’était comme notre mère nourricière. Tout était là. »

Joséphine Bacon n’a jamais vécu cette vie dans la forêt. Sa mère est morte quand elle avait 3 ans. Dès l’âge de 5 ans, elle s’est retrouvée dans un pensionnat, à Malioténam, à Sept-Îles. « C’était correct », dit-elle. 

« Je sais que beaucoup de pensionnats ont mauvaise réputation, mais c’était quand même bien. On nous permettait de parler notre langue. » — Joséphine Bacon, à propos du pensionnat qu’elle a fréquenté à Sept-Îles

Elle est restée dans ce pensionnat de 1952 à 1966. Pour apprendre le français. Pour apprendre à vivre comme sédentaire. Le but, poursuit-elle, était de sédentariser les peuples pour que les grandes entreprises puissent avoir accès aux terres, sans ces gens qui y vivent et dont on ne sait jamais où ils arrêteront leur campement, où ils cueilleront la prochaine plante médicinale.

Rencontres et savoirs

Après le pensionnat, Joséphine Bacon est partie à Ottawa étudier le secrétariat et l’anglais. Ça aussi, ça faisait partie du plan que le gouvernement, les Affaires indiennes, avait pour elle. Puis ce fut le retour à Montréal, l’Expo 67, des tentatives vaines de se trouver un emploi de secrétaire. « Il faut croire que ce n’était pas dans ma personnalité. »

C’est après cela qu’elle rencontrera trois anthropologues, Rémy Savard, Josée Mailhot et Sylvie Vincent, qui l’embaucheront pour travailler avec eux. Elle sera leur guide. Elle parle la langue innu-aimun et pourra recueillir les propos des anciens sur la vie, la culture du peuple innu. 

L’expérience a beaucoup aidé les chercheurs. Mais elle a aussi fondamentalement changé la vie de Joséphine Bacon, qui a plongé dans son identité. « Je les écoutais tout me raconter, et c’est comme si j’étais présente. »

Les mots, en innu-aimun, sont des images très précises. 

Au fil des années, Joséphine Bacon a eu quatre enfants : trois filles et un fils, qui parle un peu innu. 

Toute sa vie, elle a transmis la parole des aînés le mieux qu’elle pouvait. Pour que ça ne se perde pas, bien sûr.

Elle a été réalisatrice à l’Office national du film du Canada, notamment.

La poésie est née en 2009, d’un projet de jumelage de poètes des premiers peuples avec des poètes d’autres origines. Elle a été mise en équipe avec José Acquelin. La première étape de cette collaboration donnera le recueil collectif Aimititau ! Parlons-nous !, mais Bacon poursuivra la correspondance avec Acquelin, de laquelle découlera Nous sommes tous des sauvages, paru en 2011.

Mémoire d’encrier a aussi publié Uiesh – Quelque part, et Un thé dans la toundra – Nipishapui nete mushuat et Bâtons à message – Tshissinuatshitakana.

Entre-temps, les honneurs ont déferlé sur l’auteure. Un doctorat honoris causa de l’Université Laval, le prix international Ostana, l’Ordre des arts et des lettres du Québec l’an dernier, l’Ordre de Montréal…

« J’écris dans ma langue, puis j’écris en français », dit-elle de ce style d’écriture qui a su toucher tant de gens. « Mais le français comme moi je le vois. »

JOSÉPHINE BACON EN QUELQUES CHOIX

UN LIVRE

« C’est un livre de poésie, Chauffer le dehors, de Marie-André Gill. »

UN FILM

Les temps modernes, de Charlie Chaplin. « Mon idole. »

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

Tous les nomades

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN

« Elizabeth Penashue, la première militante innue [à lutter] contre les vols à basse altitude », des vols militaires partant de la base de Goose Bay et passant au-dessus de territoires des Premières Nations du Labrador. 

UNE PHRASE

« Je suis ma grand-mère, je suis ma mère, je suis moi. » — Natasha Kanapé Fontaine

UNE CAUSE

« La protection des rivières. Et, au lieu d’une pancarte, je prendrais un tambour. »