Ça n'était jamais arrivé au Canada, une école de génie qui porte le nom d'une femme.

Gina Parvaneh Cody a décidé de changer cette situation.

« Je ne l'ai pas fait pour voir mon nom. Je l'ai fait pour que les jeunes filles voient le nom d'une femme au-dessus de la porte de l'école de génie », explique en entrevue l'ingénieure, qui a fait un don de 15 millions à l'Université Concordia, dont la faculté a été nommée en son honneur le 24 septembre dernier.

« Donner, ce n'est pas un choix qu'on fait pour soi, c'est une responsabilité. »

Arrivée à Montréal en 1979, notre personnalité de la semaine est née et a grandi à Téhéran dans une famille de cinq enfants, dont elle était la plus jeune. Chez elle, on valorisait beaucoup l'instruction. 

« Mon père, qui était professeur, était pas mal progressiste », raconte-t-elle. Il lisait beaucoup, et il voulait que ses deux filles soient libres et indépendantes. « Il nous disait que la liberté venait par l'égalité. »

« Ma mère, elle, s'est mariée à 17 ans, elle a eu son premier enfant à 19 ans. Je ne crois pas qu'elle ait fini sa 11e année. Mais elle nous disait tout le temps, à ma soeur et moi, qu'on devait étudier », raconte l'ingénieur. 

« Elle disait : "Vous deux, les filles, si vous n'étudiez pas, si vous ne réussissez pas, vous allez dépendre des hommes." »

« Elle ne disait pas ça à mes frères. Elle ne s'inquiétait pas pour eux. Elle savait que la société leur ferait une place. À nous, elle répétait : "Étudiez fort, soyez les meilleures." »

Ses trois frères sont devenus ingénieurs. Sa soeur est dentiste.

Mme Parvaneh Cody demeure convaincue que toute sa carrière repose sur l'importance attachée aux études. « Si j'ai été respectée dans ma vie, c'est parce que j'avais un doctorat. Les gens se disaient que je devais bien savoir quelque chose. »

ALLER PLUS LOIN

Dans la famille, comme le génie avait la cote, c'est ce que la jeune Gina est allée étudier à l'université à Téhéran. Mais une fois le premier cycle terminé, il était clair, dans sa tête, qu'il fallait aller plus loin, à l'étranger.

Elle aurait pu partir en Californie, où la UCLA l'attendait, mais elle a préféré venir voir un de ses frères, qui venait de terminer son génie à Concordia. C'est lui qui lui a présenté le professeur Cedric Marsh, avec qui elle a discuté de son avenir. Il n'a pas hésité longtemps avant d'inviter la jeune femme à rester à Concordia, en lui accordant une bourse d'études fort bienvenue pour l'étudiante partie de chez elle avec 2000 $ en poche.

Elle a obtenu sa maîtrise en 1981, son doctorat en 1989. Entre-temps, elle est partie travailler à Toronto, avec celui qui deviendra son mari. De là, sa carrière d'ingénieure-conseil spécialiste du bâtiment, notamment de la résistance aux tremblements de terre, prendra son envol et la mènera à la direction de CCI, un des grands bureaux de génie-conseil au Canada, qui a fusionné il y a deux ans avec McIntosh Perry Consulting Engineers.

Mme Parvaneh Cody a passé sa vie dans le génie et la science et ne comprend pas qu'il y ait encore si peu de femmes dans les écoles polytechniques : 20 % qui étudient et environ 12 % qui pratiquent. « C'est de la logique et les femmes sont logiques », lance-t-elle. Ce qui est illogique, c'est qu'on ne les voie pas, ne les entende pas, ne les lise pas davantage. 

Par exemple, dit-elle, il a fallu attendre 2014 pour qu'une femme, Maryam Mirzakhani, chercheuse de Stanford d'origine iranienne, gagne enfin la médaille Fields, le plus grand prix de mathématiques. « Pourquoi ça a pris tant de temps ? C'est ahurissant ! » 

Et les Nobel ? Une femme, la Canadienne Donna Strickland de l'Université de Waterloo, spécialiste des lasers, vient de gagner le prix de physique. « Mais c'était la troisième femme Prix Nobel de physique de l'histoire ! La précédente était en 1963, et avant ça, c'était Marie Curie en 1903 ! » 

« Comment peut-on dire qu'on avance comme société si on laisse la moitié de la population derrière nous ? C'est totalement choquant ! On n'en parle vraiment pas assez. »

Les fonds fournis par Mme Parvaneh Cody, qui permettront d'embaucher des chercheurs et des étudiants, serviront, espère-t-elle, à aider des femmes à avancer en sciences. « Je ne veux plus entendre d'histoire de femmes qui ont été découragées par leurs parents ou qui que ce soit d'autre d'étudier en génie. Parfois, j'en ai les larmes aux yeux. »

Mais il n'y a pas qu'à l'université qu'il faut agir. Les initiatives pour encourager les filles à étudier en sciences, en génie, en mathématiques et en technologie doivent commencer quand elles sont jeunes, dit-elle, quand elles sont à l'école primaire. 

Et même avant. Les jouets différents pour les garçons et les filles ? « Voulez-vous me dire pourquoi ça existe ? », lance l'ingénieure. 

« Si on veut un meilleur futur, il faut réfléchir et agir pour changer tout ça. »

Gina Parvaneh Cody en quelques choix

Un livre

« Le chemin des âmes de Joseph Boyden »

Un film 

« Mr. Ove, un film suédois basé sur le roman de Fredrik Backman »

Un personnage historique

« Marie Curie, qui a gagné le prix Nobel deux fois, une fois en physique et une fois en chimie, et qui a développé les machines à rayons X mobiles utilisées durant la Première Guerre mondiale. »

Un personnage contemporain

« Angela Merkel, la chancelière allemande. »

Une phrase

« Je suis une femme, je suis une ingénieure, et je dis que le génie et l'informatique sont pour tout le monde, peu importent le genre, les origines ou les moyens financiers. »

Une cause qui vous ferait manifester dans la rue

« Les droits des femmes et leur avancement dans la société. Et sur la pancarte il serait écrit : "Équité, diversité et inclusion". »