Quand il était enfant, au Caire, Nabil Seidah adorait feuilleter Le Petit Larousse illustré, à la recherche d'images saisissantes de maladies ou d'affections étranges. « J'étais ébahi par ces pathologies », raconte le chercheur montréalais, éminent spécialiste des enzymes.

« Je crois que c'est ça qui m'a donné envie de travailler en sciences. »

Dans sa famille bien catholique de l'Égypte d'avant la guerre des Six Jours, on s'intéressait aux découvertes scientifiques, mais personne n'avait de profession dans ce domaine, raconte le chercheur, « même pas un médecin », car tout le monde était dans les affaires. Bien longtemps on l'a taquiné avec sa passion pour la recherche, les laboratoires, les microscopes. « Ils me demandaient tout le temps : "Comment tu gagnes ta vie avec tout ça ?" »

Maintenant, il est pris beaucoup plus au sérieux. L'une des découvertes de notre personnalité de la semaine, chercheur à l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) depuis 1974, a permis de trouver un nouveau traitement contre l'hypercholestérolémie qui réduit les risques de crise cardiaque et permet aux patients de vivre plus longtemps.

Le 30 mai dernier, iI est devenu le premier chercheur du Québec et le deuxième du Canada à recevoir le prestigieux Grand Prix scientifique de la Fondation Lefoulon-Delalande-Institut de France.

Le 10 juin, il a reçu le prix Akira-Endo (nommé en l'honneur du découvreur des statines) pour la découverte de PCSK9, une enzyme qui joue un rôle clé dans la dégradation du mauvais cholestérol. Le 6 juin, il a aussi reçu le prix Louis et Artur Lucian de l'Université McGill, un autre parmi des dizaines et des dizaines d'honneurs accumulés au fil de décennies de travail en recherche.

LA SCIENCE, PAS LA GUERRE

C'est parce que « je ne voulais pas faire la guerre, je voulais faire de la science », dit-il, que Nabil Seidah a quitté son pays natal pour aller faire son doctorat. Il est allé étudier la physique et les mathématiques à l'Université de Georgetown, à Washington. C'est là qu'un certain Dr Michel Chrétien l'a rencontré et lui a demandé s'il viendrait faire de la recherche à Montréal, à l'IRCM. Parce que la passion de M. Seidah, c'était justement la microbiologie. « Ma grand-mère était schizophrène et j'avais toujours voulu travailler sur le cerveau, la santé », explique le chercheur de 69 ans, en entrevue, alors qu'il revient à peine d'un voyage à vélo à l'Île-du-Prince-Édouard.

La suite de l'histoire est dans les livres de sciences. La découverte des bêta-endorphines, le séjour à l'Institut Pasteur à Paris pour peaufiner certaines connaissances, la recherche sur les enzymes, qui nécessitera de difficiles traversées du désert, mais qui mènera aussi à d'importantes découvertes. La dernière : l'identification d'une enzyme répondant au doux nom de PCSK9, qui joue un rôle crucial positif dans la régénération du foie, mais aussi négatif dans la circulation du mauvais cholestérol. De cette percée est né un traitement de pointe, efficace, pour les personnes souffrant d'hypercholestérolémie.

Tout cela a nécessité de très longues journées au laboratoire, année après année. « Entre 10 et 12 heures par jour », explique le père de deux garçons, qui sont aujourd'hui en gestion et en génie. « J'ai fait ça tous les jours pendant 40 ans. » Pas tout seul, évidemment. Le chercheur est entouré d'équipes « de très bons étudiants » de l'Université de Montréal et de McGill, qui viennent de partout au monde. « Il y a 12 nationalités dans mon labo », dit-il. « Mais la science, c'est comme ça, ça prend du temps. Et de la constance. Et aussi de la chance. Et de la patience. Parce que parfois, on se trompe. Mais parfois, aussi, on a raison. »

Nabil Seidah a-t-il parfois envie d'arrêter ? Pas encore. « J'ai des fonds pour faire encore de la recherche pour quatre ou cinq ans », dit-il. Et il y a une autre grande découverte qui s'en vient. Quelque chose d'important. « Une très belle histoire. »

Après cela, dit-il, peut-être qu'il sera temps de passer à autre chose.