Le 17 avril dernier, l'exposition inspirée par l'oeuvre de Leonard Cohen, Une brèche en toute chose, a pris fin, après avoir passé cinq mois à l'affiche et reçu quelque 315 000 visiteurs. Derrière cet immense succès: John Zeppetelli, directeur du Musée d'art contemporain de Montréal. Il est notre personnalité de la semaine.

Jamais le Musée d'art contemporain de Montréal (MAC), qui a produit l'événement, n'avait vu un tel engouement. D'autant plus qu'il ne s'agissait pas du tout d'une présentation d'objets anecdotiques ayant appartenu au chanteur et poète, ou d'un étalement d'archives comme on l'a souvent vu, mais bien d'une exposition d'oeuvres inédites d'artistes de grande envergure, comme l'Américaine Jenny Holzer, inspirés par le Montréalais.

Il fallait voir les « fans finis » chantant du Cohen filmés et parfaitement synchronisés par l'artiste sud-africaine Candice Breitz - oeuvre acquise par le musée depuis - pour comprendre que le MAC avait décidé de parler de Cohen, oui, celui qu'on aime tous, mais aussi de sortir des évidences et de nous amener sur les traces de l'artiste, dans sa tête, dans son coeur, dans sa poésie, ses quêtes.

Le succès du musée est d'autant plus remarquable.

Le directeur du MAC, John Zeppetelli, notre personnalité de la semaine, est ravi du succès qu'a connu son projet, qu'il entend d'ailleurs prolonger en exportant l'exposition. « Déjà quatre villes sont intéressées », explique-t-il au téléphone, alors qu'il est assis dans un café de Berlin, après s'être arrêté à Londres et à Prague.

« Il est trop tôt pour donner des détails, mais des lieux à San Francisco, New York, Prague et Copenhague sont vraiment intéressés. »

La tournée commencerait à l'été 2019.

Né dans la Petite Italie où il a grandi en italien - il est parfaitement trilingue et travaille en français, parle anglais à la maison et rêve en italien -, John Zeppetelli a plongé dans le monde de l'art à l'Université Concordia, où il a étudié le cinéma et la peinture. En sortant de là, il a obtenu une bourse pour aller à Bologne poursuivre sa formation dans l'université d'Umberto Eco. Puis il est parti à Édimbourg, en Écosse, et ensuite à Londres où il a travaillé et continué d'étudier la scénarisation au London College of Printing avec Laura Mulvey, cinéaste féministe avant-gardiste de l'époque, une expérience qui l'a marqué, dit-il, tout comme celle qui a suivi, à l'Institute of Contemporary Arts (ICA).

« C'était avant la Tate Modern, explique-t-il, et il se passait beaucoup de choses au ICA. Toutes les disciplines étaient équivalentes. » C'était un lieu interdisciplinaire de découverte et d'exploration incroyable, pourtant sur le chemin entre Trafalgar Square et Buckingham Palace, l'establishment.

Mais M. Zeppetelli a encore la bougeotte et décide de partir à New York. Là, il travaille, mais surtout il s'inscrit à un programme d'études lié au Whitney Museum. Il a alors deux enfants et trouve un appartement à Brooklyn. Il est embauché par une galerie d'art de SoHo. « Disons que c'était intense », note-t-il.

RETOUR À MONTRÉAL

La famille finit par reprendre le chemin de Montréal. Cela fait alors 11 ans que John Zeppetelli a quitté la ville.

Il s'occupe de la librairie du MAC, enseigne à Concordia l'histoire et la théorie de la vidéo. Il s'occupe des étudiants étrangers. Il se tourne vers le Centre Saidye-Bronfman qui avait autrefois un important programme d'arts visuels. Et puis il entend parler de la venue à Montréal d'une nouvelle mécène qui veut faire bouger le monde de l'art en aidant les artistes et en ouvrant de nouveaux espaces de création, de travail, d'exposition.

C'est Phoebe Greenberg - avec qui il travaillera pendant presque sept ans. « J'étais dans la quarantaine et je voulais concrétiser de vrais projets. » À ses côtés, il mettra sur pied DHC/ART, dans le Vieux-Montréal, dont il sera le conservateur jusqu'à son départ en 2013 pour prendre la direction du Musée d'art contemporain.

À ce poste, il est rapidement sollicité pour se joindre à un important projet : la célébration du 375e anniversaire de Montréal. Le musée cherche un sujet qui finit par s'imposer : un hommage à Leonard Cohen, l'immense artiste montréalais, qui est encore vivant, mais qui est arrivé à l'étape des bilans.

M. Zeppetelli adore l'idée - « mais ça ne m'intéressait pas, les expos biographiques », dit-il. Il travaille avec le conservateur Victor Shiffman pour que leur projet aille dans une autre direction. D'ailleurs, le MAC n'a pas un mandat historique, mais bien d'art contemporain. Le concept est mis au point : on demandera à des artistes de créer sur les traces de Cohen, d'exprimer la manière dont il les touche et les différentes facettes de sa personnalité, de son oeuvre, de sa philosophie, des tensions au coeur de son travail d'artiste à lui entre le sacré, le profane, le terrestre et la poésie...

Il faut alors demander l'accord de Cohen, qui accepte par la bouche de son avocat, mais à une seule condition : il ne veut pas participer du tout, il veut que les artistes travaillent seuls. « C'était idéal, ils pouvaient créer en liberté. »

Cela a donné toutes sortes de réflexions, de montages, de performances - par Clara Furey - , même un hologramme des artistes montréalais Carlos et Jason Sanchez. La grande Jenny Holzer a projeté des textes de Cohen sur les silos du Vieux-Port, Jon Rafman a conçu une installation vidéo.

Alors que l'exposition tirait à sa fin, Bono, en répétition à Laval, a tenu à venir la voir et y a envoyé son vieux copain, The Edge. On raconte qu'en revenant du MAC, il lui a juste dit : « Il faut que tu ailles voir ça. » Sans autre explication.

John Zeppetelli en quelques choix

UN LIVRE: Expérience de Martin Amis

UN FILM: Le mépris de Jean-Luc Godard

UNE CITATION: « Se plaindre est la réaction la moins appropriée à la souffrance. » (Leonard Cohen)

UN PERSONNAGE HISTORIQUE: Susan Sontag

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN: Charles M. Blow, éditorialiste au New York Times

UNE CAUSE QUI LE FERAIT DESCENDRE DANS LA RUE: L'ouverture à tous. Et sur sa pancarte, il écrirait: «Nous sommes tous des migrants.»