Son cri du coeur a remis en question une politique gouvernementale ne permettant pas aux parents d'accompagner leurs enfants dans les avions-ambulances. Catherine Hudon est notre personnalité de la semaine.

Catherine Hudon ne fait pas partie de ceux à qui la vie n'a fait que des cadeaux. Un nombre passablement costaud d'embûches ont plutôt été parsemées sur son chemin, dont une tumeur à la thyroïde qu'elle vient tout juste de se faire enlever.

Mais cela ne l'empêche pas de voir de la beauté au quotidien dans le regard de ses enfants, des bébés ou des futurs mariés qu'elle photographie pour son travail. « Après des pertes, tout devient plus beau, dit-elle. On voit mieux la lumière. »

Et à 39 ans, elle se permet de dire : « Oui, il paraît que j'ai de la résilience. »

Notre personnalité de la semaine ne pensait jamais que la lettre envoyée dans le courrier des lecteurs de La Presse, il y a une semaine, son cri du coeur, aurait autant de répercussions. Mais on en a parlé partout.

L'avez-vous lue ? Dans cette lettre, elle met un visage sur l'aspect cruel de la politique gouvernementale interdisant aux parents de monter à bord des avions-ambulances Challenger qui conduisent à l'hôpital, dans le sud, des enfants du Grand Nord ayant besoin de soins médicaux d'urgence.

Elle s'est retrouvée dans cette situation.

C'était en 2008.

Mattéo, son fils qui avait alors 2 ans et 10 mois, le plus jeune de la famille, se réveille avec un grave mal de tête. La fille de Chambly, qui est devenue infirmière à Chisasibi, une communauté crie près de LG2, le fait voir par les médecins, qui croient qu'il faut l'envoyer à Montréal pour d'autres tests. Le petit est né avec une malformation à la trachée. Il a besoin de soins particuliers.

On ne prend pas de risque. On est inquiet. Catherine Hudon veut partir avec son fils, mais on lui dit non. Elle doit trouver un autre moyen de redescendre dans le sud. Elle insiste. Elle a déjà travaillé à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Elle en a vu des dizaines d'enfants arriver du Nord, seuls, perdus, terrorisés.

Elle sait que ça n'a pas de bon sens de laisser des tout petits comme ça, loin de leurs parents. « J'ai tout fait pour partir avec lui. »

En vain. La directive, c'est la directive, pas de parent à bord. « On est comme une salle d'urgence », se fait-elle dire. « C'est pour la sécurité des patients à bord. » Aucun de ses arguments ne les convainc, affirme la mère de famille. Mais elle n'y peut rien.

Elle prend un autre avion. Le temps est mauvais. Le voyage prend dix heures, au lieu de trois.

En arrivant, elle apprend que son petit avait un caillot au cerveau, qu'il a fallu intervenir en plein vol, que ça ne va pas, qu'il est en état de mort cérébrale.

« Et je n'étais pas là, dit-elle, pour lui tenir la main. »

Catherine Hudon ne s'est jamais remise de cette épreuve.

Elle n'est plus capable, dit-elle, de mettre son coeur au service des patients.

Après des mois sans travailler, elle a repris ses tâches d'infirmière, mais en CLSC, loin des bébés. Elle est tombée enceinte. A perdu cette petite fille à l'accouchement. Elle est retombée enceinte d'un enfant qui a maintenant 7 ans. Et les deux premiers, qui ont maintenant 15 et 14 ans, sont en pleine forme.

Mais Catherine n'est plus infirmière et elle n'est plus chez les Cris.

Elle s'est installée au Bic, où elle est devenue photographe. Mariages, naissances... On l'appelle pour capter les beaux moments. Elle passe du temps avec ces gens, cherche à mettre en images leur bonheur. « C'est un travail que j'adore, dit-elle. J'essaie d'immortaliser des moments, de l'amour. »

Née en Montérégie, Mme Hudon a été pensionnaire au Collège Durocher à Saint-Lambert avant de faire son cégep à Brébeuf, pour pouvoir jouer au basketball. Puis elle s'est lancée dans des études de philosophie à l'Université de Montréal avant de réaliser, lors d'un voyage de bénévolat humanitaire en République dominicaine, qu'elle voulait aider les gens plus directement. « À l'université, on se demandait ce qui était venu en premier, la pensée ou la parole, et je me suis dit que je voulais faire quelque chose de plus direct. »

Elle s'inscrit donc à la faculté des sciences infirmières et termine un bac. Puis, alors que ses trois enfants, dont le petit Mattéo, ont respectivement 1, 3 et 5 ans, elle décide d'aller à Chisasibi, où les conditions de vie et de travail lui permettront de garder les trois petits à la maison, avec une nounou, plutôt qu'en CPE, où les virus posent trop de dangers constants pour son plus jeune.

Elle y est restée jusqu'à son déménagement et son changement de carrière il y a trois ans. Et comme si la vie n'avait pas été assez dure, d'autres graves problèmes de santé sont arrivés.

Mais Catherine Hudon sourit. Savoure chaque moment. Et se réjouit de voir qu'enfin la question des évacuations en ambulance est prise au sérieux.

« Jamais on ne s'était donné la peine de remettre en question cette politique. J'ai essayé de le faire, après Mattéo, mais c'était tellement bureaucratique. J'ai frappé un mur. »

L'expérience, dit-elle, a laissé un trou qui ne s'est jamais comblé. « On m'a volé la mort de mon enfant. »

Tout ça est arrivé il y a 10 ans. « Ça me fait du bien de savoir qu'enfin, ce problème, on s'en occupe. Je me sens plus légère. Mais je ne serai pas prête à dire "yé !" tant que je n'aurai pas vu un parent assis dans l'avion. »

PHOTO FOURNIE PAR MARTIN FILLION

Elle voit la beauté du quotidien dans le regard de ses enfants, des bébés ou des futurs mariés qu'elle photographie pour son travail.

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE GIROUX

À Chisasibi, les conditions de vie et de travail ont permis à Catherine Hudon de garder ses trois petits à la maison, avec une nounou, plutôt qu'en CPE.

Catherine Hudon en quelques choix

UN LIVRE

Madame Bovary de Gustave Flaubert. « J'ai été marquée par ce livre, notamment l'esprit descriptif. »

UN FILM

« Les cerfs-volants de Kaboul. Magnifique. »

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

L'écrivain Antoine de Saint-Exupéry

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN

La photographe américaine Darcy Padilla, connue pour son livre Family Love - préfacé par Emmanuel Carrère -, recueil de photos racontant l'histoire de Julie, une femme contaminée par le VIH, mère de six enfants, aux prises avec de multiples problèmes de drogue, de violence, de détresse sous toutes ses formes, que Padilla a suivie pendant 18 ans, jusqu'à sa mort à 36 ans.

UNE CITATION

« Il y a une faille dans toute chose, c'est par là qu'entre la lumière. » Leonard Cohen

UNE CAUSE

La fin de l'interdiction pour les parents d'accompagner leurs enfants lors des vols d'évacuation médicale. Le mot-clic de sa campagne ? #tiensmamain