Depuis près de 50 ans, pendant les Fêtes, elle va à la rencontre de gens seuls et démunis pour leur offrir une célébration digne de ce nom. Fleurette Bilodeau est notre personnalité de la semaine.

Qu'avez-vous fait pendant le temps des Fêtes ? Fleurette Bilodeau, elle, a rencontré et, surtout, écouté des gens.

Des vieux, mais aussi des jeunes, des gens qui avaient besoin d'une oreille attentive.

« Le jour de Noël, j'ai écouté toute la journée », dit-elle. « Du dimanche 24 au lundi 25, 14 heures d'écoute au téléphone. Pas des gens que je connais. Juste des gens qui me parlent. Et je les écoute. Et je les encourage. »

Et au jour de l'An ? Même chose. « C'est plus difficile encore, dit-elle. Les gens qui se sentent seuls, comme les gens de la campagne qui viennent d'arriver en ville, ils se sentent encore plus seuls. Souvent, ils n'ont pas d'argent pour aller fêter comme les autres. »

Fleurette Bilodeau, notre personnalité de la semaine, n'est pas une bénévole dans un service d'écoute professionnel pour gens en difficulté. C'est une femme de 87 ans qui a aidé les autres toute sa vie. Elle ne s'est jamais mariée, n'a jamais eu d'enfants. Sa vie, elle l'a consacrée à aider autrui, notamment quand elle était payée pour le faire, au service aux élèves de l'ancien collège Marguerite-Bourgeoys, où elle a travaillé 17 ans.

Quand on lui demande pourquoi elle a toujours investi cette énergie dans de l'aide hors circuit, pourquoi elle n'a jamais fait de politique ou rempli une autre tâche plus officielle, Fleurette répond : « Écoutez, je n'ai pas d'instruction... »

Longueuilloise depuis 1967, Fleurette Bilodeau est née et a grandi à Sainte-Jeanne-d'Arc, village du Lac-Saint-Jean à mi-chemin entre Péribonka et Mistassini. Là, sa mère a eu 19 enfants, dont elle, la petite dernière. « Mais j'en ai connu seulement 10 », dit-elle. Les autres sont morts en bas âge, une réalité peu surprenante à cette époque, dans une région aussi isolée. Chez ces cultivateurs, il n'y avait pas l'électricité et à 12 ans, la petite conduisait la Jeep de son père. Un permis de conduire ? Quel permis ?

D'ailleurs, les institutrices n'appréciaient pas le caractère de la petite « tannante », qui n'a jamais pu terminer cette septième année qui concluait les études primaires à l'époque.

Ceci ne l'a cependant jamais empêchée de lire. Elle se rappelle avoir dévoré à la lueur de sa lampe à l'huile Les misérables de Victor Hugo.

Une histoire d'amitié

Aujourd'hui, Mme Bilodeau ne peut plus lire. Elle a perdu l'usage d'un oeil à la suite d'une thrombose et l'autre est réduit à 25 % de sa capacité. Mais elle écoute des livres en version audio. Et des amis viennent lui lire La Presse. « D'ailleurs, faut que je vous dise. Ici, il y en a beaucoup qui sont attristés par la fin du papier », dit-elle, en parlant de ceux qui habitent dans sa résidence pour personnes âgées de Longueuil. « Pour certains, c'était comme la seule visite d'une amie, la seule qui venait les voir, tous les samedis. Imaginez. »

Mme Bilodeau a une longue histoire d'amitié avec les journaux et conserve notamment des souvenirs chaleureux de Claire Dutrisac, la journaliste de La Presse affectée à la couverture de la santé et des services sociaux dans les années 70. Elle l'a croisée alors que la reporter faisait des reportages sur les mauvais traitements infligés aux personnes âgées, dont plusieurs enquêtes-chocs ayant forcé les autorités à agir.

La Longueuilloise se rappelle le sort d'une dame âgée, très seule, qui lui avait un jour confié : « J'ai vécu comme un chien, je vieillis comme un chien et je vais mourir comme un chien. »

Profondément bouleversée, c'est Fleurette Bilodeau qui s'est donc débrouillée pour s'occuper de ses funérailles le jour où la dame est morte.

Elle raconte longuement, en détail, comment elle a convaincu le propriétaire d'un salon funéraire d'apporter son aide, puis comment elle a essayé de convaincre le frère de la défunte d'oublier de vieilles querelles pour veiller à la mémoire de sa soeur.

Finalement, il y a eu la cérémonie à l'église, la limousine, une pierre tombale, un vrai cercueil.

« Donc, elle a eu de vraies funérailles ? 

- Bien, on était quatre à l'église, répond Fleurette Bilodeau. Dont Claire Dutrisac. »

Une vie à aider

Les souvenirs de Mme Bilodeau sont abondants. Elle raconte comment elle est venue à Montréal l'année de l'Expo pour aider un frère qui venait de faire un infarctus, ville qu'elle n'a plus quittée même si elle a préféré s'installer à Longueuil, où elle se sentait plus à l'aise. Comment elle a commencé à apporter son aide, dans sa communauté, une personne démunie ou seule à la fois. 

Dans ses récits, il y a les « quêteux » qui venaient chez elle quand elle était toute petite, ou tous ces sans-abri qu'elle laissait dormir dans la cage d'escalier menant à son ancien appartement, au grand dam du propriétaire qui trouvait ça dangereux. Il y a évidemment tous ces repas de Noël, pour personnes seules, qu'elle organise depuis près de 50 ans, avec des bénévoles dont certains l'aident depuis plus de 30 ans... « Des gens qui viennent ici parce qu'ils veulent, chaque bénévole vient avec son coeur. »

Quand elle repense à tout cela, dit-elle, elle se dit que si sa vie était à refaire, elle la referait exactement pareille, sans en changer un iota.

Fleurette Bilodeau en quelques choix

Un livre ? « Les misérables de Victor Hugo en huit volumes, lus à la lampe à l'huile parce qu'on n'avait pas l'électricité chez nous. »

Un film ? La mélodie du bonheur

Une phrase ? « Si tu regardes en arrière, tu ne peux pas avancer. »

Un personnage qui n'est plus là : Andrée Boucher, l'ancienne mairesse de Sainte-Foy et de Québec. « Elle, elle s'intéressait vraiment à TOUT le monde. »

Un personnage contemporain : L'ancienne mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy Laroche

Si elle devait manifester ? « Ça serait pour le respect des personnes âgées, et j'écrirais sur ma pancarte que nous aussi, on a déjà été jeunes, qu'on a travaillé et qu'on a payé nos taxes, qu'on a aidé avant et qu'on aide encore. »