Il a été un des militants indépendantistes les plus actifs dans les décennies 1960 et 1970. Samedi dernier, Reginald Chartrand est décédé à l'âge de 81 ans.

Né à Clarence Creek, sur la rive droite de la rivière des Outaouais, Reggie Chartrand a grandi dans la ville minière et forestière de Timmins, dans le nord-est de l'Ontario. «Il vivait dans un milieu très pauvre, affirme son fils Mathieu Chartrand. Ses trois frères et lui dormaient dans le même lit, au grenier, d'où ils pouvaient voir dehors à travers les planches.»

À Timmins, cette famille canadienne-française fait partie des «citoyens de deuxième classe», poursuit Mathieu Chartrand.

Reggie Chartrand quitte Timmins grâce à la boxe. Il prend le train pour faire carrière à Montréal, à la veille de ses 18 ans. Dès son arrivée au Québec, il est stupéfait de voir que les francophones ne sont pas mieux lotis, bien que majoritaires dans la population.

Sa carrière de boxeur culmine dans les années 50, alors qu'il récolte 24 victoires (dont 13 knock-out), 3 nulles et 7 défaites.

«Lui, vous ne l'arrêterez pas!»

En 1960, Reggie Chartrand change de combat en faisant partie des fondateurs du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), présidé par Marcel Chaput. Il sera lui-même candidat du parti dans Verdun.

Reggie Chartrand crée sa propre organisation militante, les Chevaliers de l'indépendance. Il fonde aussi une école de boxe, rue de la Visitation à Montréal, où il tient des conférences en faveur de l'indépendance. «À l'époque, il y avait peut-être 5% d'appuis à l'indépendance», relève Mario Beaulieu, le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJB). «C'était un précurseur.»

Ses boxeurs arborent des chandails où sont inscrits les mots: Vive le Québec libre. «Pour le Canada anglais, c'était un affront», relève Jules Falardeau, le réalisateur du documentaire Reggie Chartrand, patriote québécois sorti en 2010.

Durant l'été 1967, alors que de Gaulle vient de prononcer son célèbre discours à l'hôtel de ville de Montréal, Reggie Chartrand se tourne vers les policiers et leur lance: «Lui, vous ne l'arrêterez pas!», se rappelle son épouse Doris McInnis.

Reggie Chartrand et Doris McInnis prennent part à toutes les manifestations indépendantistes. Lui s'investit dans le service d'ordre, n'hésitant pas à échanger les coups de poing avec les policiers. «Il ne recherchait pas l'affrontement physique, mais il disait: on ne va pas se faire marcher sur les pieds», poursuit Jules Falardeau.

Victime de violences policières

Arrêté à de multiples reprises par la police, Reggie Chartrand subit des traitements de choc. «Les policiers lui cassaient les doigts pour ne pas qu'il les frappe», dit Mathieu Chartrand.

«À cette époque, on se sentait suivis, persécutés même», souligne Doris McInnis.

«Reggie Chartrand était un patriote qui l'a été à une période où c'était très difficile, souligne l'ancien premier ministre Bernard Landry. Il l'a payé physiquement.»

Lors des émeutes de la Saint-Jean-Baptiste en 1968, Reggie Chartrand se retrouve à l'hôpital Saint-Luc. «À l'hôpital, il criait mon numéro de téléphone à tout le monde, dit son épouse. Un jeune médecin interne m'a téléphoné pour me dire où il était, et que je ne devais pas dire qui j'étais. Quand j'ai trouvé Reggie, il était méconnaissable.»

Doris McInnis ajoute qu'elle a alors été elle-même agressée par une infirmière, qui l'a poussé contre un mur en l'insultant.

Pour les Jeux olympiques de 1976, Reggie Chartrand hisse le fleurdelisé à l'arrière des drapeaux officiels. En 1980, il affronte sur un ring de boxe André Beauchamp, un partisan du non, qu'il enverra au tapis.

Reggie Chartrand travaillera alternativement comme portier et serveur, puis comme gérant de bar Chez Queux, dans le Vieux Montréal. Sur la scène publique, il se dresse contre le droit à l'avortement. «Il n'était pas un enfant désiré, pour lui tout le monde avait le droit d'avoir une chance de vivre», indique Mathieu Chartrand. Il écrit aussi contre le féminisme.

Raymond Lévesque avait salué Reggie Chartrand en composant une chanson à son nom. Le militant a aussi reçu la médaille Bene merenti de Patria de la SSJB.

Reggie Chartrand laisse derrière lui son épouse Doris McInnis et leurs trois enfants, François, Ariane et Mathieu. Un hommage sera rendu à Reggie Chartrand le dimanche 23 mars au Circuit-Est à Montréal, à 14h.