Elle a participé à la fondation des Ballets Jazz de Montréal et a initié des centaines de danseurs à un style de son cru. Eva von Gencsy s'est éteinte le 11 avril. Elle avait 89 ans.

De l'avis de ses plus proches amies, Eva von Gencsy aura vécu une vie plus qu'heureuse, comblée par sa passion de toujours: la danse.

Se livrant à celle-ci jusqu'à la fin, la ballerine, enseignante et chorégraphe de métier, donnait encore le 2 mars dernier un cours dans le cadre de la Nuit blanche de Montréal.

C'est qu'Eva von Gencsy ne faisait pas son âge, tant dans son corps que dans sa tête. «Elle avait une véritable âme d'enfant», se souvient Sylvie Normandin, une amie et danseuse qui l'a d'abord connue à titre d'étudiante aux Grands Ballets canadiens en 1968. «Elle s'émerveillait devant tout, et la côtoyer ne pouvait que rendre heureux.»

«C'est une femme qui avait vraiment trouvé ce dans quoi elle excellait», souligne pour sa part Geneviève Salbaing, la danseuse avec qui Eva von Gencsy a cofondé, en compagnie d'Eddy Toussaint, les Ballets Jazz de Montréal.

Un parcours unique

Née à Budapest en 1924, Eva von Gencsy a 10 ans lorsqu'elle se joint à l'Académie russe de Budapest et s'initie à la danse classique. Après des années de pratique et des études en arts dramatiques, elle se livre finalement à une carrière professionnelle de danseuse au début de la vingtaine.

La Hongrie se relève alors péniblement de la Deuxième Guerre mondiale et son pouvoir se trouve déstabilisé par l'influence soviétique. C'est dans ce contexte que la jeune ballerine choisit l'exil en 1948 et s'installe à Winnipeg. Là-bas, elle joint la seule troupe de danse classique du pays, le Royal Winnipeg Ballet.

En 1954, Eva von Gencsy atterrit à Montréal et rejoint les Ballets Chiriaeff, l'ancêtre des Grands Ballets canadiens. Enfilant à la fois les rôles de danseuse et d'enseignante, la spécialiste du style classique se laisse bientôt tenter par la danse jazz. En 1961, elle effectue d'ailleurs un séjour à New York pour y perfectionner ce style.

À son retour au pays, la danseuse combine ses expertises en danse classique et en danse jazz pour donner naissance à un style hybride qui fera sa renommée: le ballet-jazz. Quelques années plus tard, en 1972, elle cofonde finalement avec ses deux comparses les Ballets Jazz Montréal.

La troupe connaît alors un succès retentissant.

«C'était la folie, se souvient Sylvie Normandin. À un moment donné, nous étions jusqu'à 3000 étudiants seulement pour les cours de ballet-jazz.»

«Nous n'avions que trois studios et ils étaient tout le temps plein», ajoute Geneviève Salbaing.

Bien qu'exigeante, Eva savait se faire aimer de ses étudiants, selon Sylvie Normandin. «Elle nous poussait toujours à notre maximum, mais savait aussi nous transmettre sa passion», dit-elle.

Tantôt chorégraphe et tantôt enseignante, Eva von Gencsy gardera les deux pieds dans l'univers de la danse jusqu'à la fin de sa vie. Mais le 3 avril, alors qu'elle présente un film portant sur les Ballets Jazz de Montréal à la Cinémathèque, une défaillance cardiaque la foudroie.

La veille encore, elle donnait un cours de danse. Comme quoi Eva von Gencsy aura su mordre dans sa passion jusqu'à la toute fin.