(Ottawa) Après une semaine de grève, des centaines de fonctionnaires fédéraux continuaient à manifester avec entrain au centre-ville de Montréal, mardi matin.

« Ça devient long, j’ai hâte de retourner au travail, [mais] je ne suis pas découragée du tout, toute bonne chose vient avec du temps », commente Maria McGee en brandissant sa pancarte ornée d’un personnage des Simpson sur le boulevard René-Lévesque Ouest. « Les offres, à date, ça ne tient pas debout. Avec l’inflation, les salaires ne sont pas suffisants », renchérit sa collègue Maria Merlos à travers le tintamarre des trompettes en plastique.

« Mon département a dit que ça prendrait une journée. On était confiants : les impôts commencent, on a du pouvoir. Mais ç’a l’air qu’on n’a pas tant de pouvoir que ça », constate un employé de l’Agence du revenu du Canada qui a demandé à ne pas être nommé. Comme la plupart de ses collègues, il en est à son cinquième jour ouvrable passé devant ses bureaux du 305, boulevard René-Lévesque Ouest. « Jusqu’à vendredi, je me sentirai bien. Après, je vais commencer à stresser : est-ce qu’on est en train de gagner la cause ? », s’interroge-t-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les fonctionnaires fédéraux, comme ceux-ci qui ont manifesté à Montréal mardi, sont en grève depuis une semaine.

À quelques mètres de là, Stéphane et Mélissa, employés de Santé Canada, ont rejoint le mouvement plus récemment. « Dans d’autres ministères, c’est carrément l’employeur qui a dit : “Vous avez le droit de manifester, voilà ce qui va se passer”, mais dans notre cas, non », déplore Stéphane. « Je ne pouvais pas continuer de voir ça alors que ça se passait devant mes fenêtres », dit-il en montrant son bureau de l’autre côté du boulevard. Il s’est joint aux grévistes vendredi dernier.

Mélissa, qui était en congé de maladie la semaine dernière, a fait de même lundi. « Il y a comme un esprit de fraternité, c’est plaisant », témoigne-t-elle, consciente que la population ne voit pas nécessairement la situation du même œil.

J’ai vu beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux comme quoi les fonctionnaires faisaient de gros salaires. Ce n’est vraiment pas le cas !

Mélissa, employée de Santé Canada

De nombreux automobilistes appuient néanmoins les grévistes d’un coup de klaxon. Michel Lacroix, à vélo, les encourage de vive voix. « Regarde les augmentations de salaire que les députés et les présidents des entreprises se donnent », lance ce professeur au département d’études littéraires de l’UQAM, qui a été président de son propre syndicat de 2018 à 2021. « S’il n’y a pas de conséquence à une grève, ça ne sert plus à rien. Une grève, c’est pour avoir un rapport de force. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie-Josée, agente de services aux citoyens à Service Canada, doit demeurer en poste à titre de service essentiel, mais vient appuyer les grévistes durant sa pause du midi, boulevard René-Lévesque Ouest.

Marie-Josée, agente de services aux citoyens à Service Canada, n’a pas débrayé. Répondant aux demandes du public, notamment en matière d’assurance-emploi et de pensions, elle fait partie des services essentiels. Mais comme elle travaille en face, elle passe sa pause de midi sur le piquet de grève, en soufflant des bulles de savon. « Je peux faire ce que je veux pendant mon dîner, c’est légal de venir prêter main-forte au mouvement », dit-elle en souriant. « Plus on est de monde à dire qu’il faut que ça change, plus il y a de chances que ça arrive. »

Des citoyens découragés

Ayant prévu un voyage familial avec ses trois jeunes enfants le 12 mai, Roxane Ouimet a tout fait pour que le passeport de la petite dernière, née le 30 mars dernier, soit délivré à temps. Mais le certificat de naissance est arrivé le 19 avril, le jour où les syndiqués ont déclenché la grève. Au bureau des passeports où elle s’est présentée le lendemain, elle n’a pu retenir ses larmes.

« J’avais tous mes documents en main de même que ma preuve de voyage et on n’a jamais voulu prendre ma demande, mes papiers. On m’a encore répété que le 12 mai, c’était loin et que j’avais encore le temps, que c’est possible de faire un passeport en 48 heures (moyennant des frais excédentaires de 100 $…) », a-t-elle écrit à La Presse. « Je ne suis pas “contre” la grève, mais je serai dans le doute jusqu’à notre possible départ », dit-elle, inquiète de perdre « des milliers de dollars » en cas d’annulation de ses vols.

« J’ai bien conscience que le droit de grève est un acquis, mais vous ne pouvez pas imaginer les dommages collatéraux qu’une grève au fédéral peut provoquer », nous a aussi écrit Marc Vachon, un travailleur humanitaire montréalais qui attend les visas de sa femme et de son fils de 10 ans, tous deux d’origine éthiopienne. « Mon petit finit l’école à Addis-Abeba le 21 juin, j’espérais les visas d’ici là, maintenant ce n’est qu’un rêve », fulmine M. Vachon, en rappelant que « l’Éthiopie est devenue un enfer où le site du gouvernement canadien nous avise en grosses lettres de ne pas mettre les pieds ».

Pendant ce temps, à Ottawa

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a réclamé que le premier ministre Justin Trudeau s’en mêle, mardi. Selon lui, la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, « n’a pas fait le travail nécessaire » pour éviter une grève après deux ans de négociations. Il estime qu’Ottawa devrait ajuster le salaire des fonctionnaires à l’inflation, mais n’a pas voulu dire s’il approuvait leur demande d’augmentation de 13,5 % sur trois ans.

M. Trudeau a dit comprendre que les négociations soient « corsées », mais a dit voir du progrès. « On va continuer de faire le travail important d’arriver à quelque chose de convenable, parce qu’on sait que les Canadiens méritent et doivent avoir les services dont ils ont besoin. »

Avec la collaboration de Mylène Crête, La Presse