Bien que le chemin Roxham soit officiellement fermé depuis un mois, les demandeurs d’asile continuent à tenter leur chance. En tout, 264 personnes ont été interceptées entre des points d’entrée officiels, au Québec, depuis le 25 mars, selon les plus récentes données de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

Évidemment, c’est beaucoup moins qu’avant l’élargissement de l’Entente sur les tiers pays sûrs, quand on enregistrait plus de 100 entrées par jour au chemin Roxham.

Et surtout, 185 de ces personnes ont été refoulées aux États-Unis parce qu’elles ne répondaient pas aux critères d’exception prévus dans l’entente. Mais 78 autres ont été jugées admissibles à poursuivre leur demande, soit 30 %. Une seule personne a retiré sa demande et est retournée volontairement aux États-Unis.

Que dit la nouvelle entente ?

Le 24 mars, le premier ministre Justin Trudeau et le président américain Joe Biden ont annoncé la signature d’un « protocole additionnel » sur l’Entente sur les tiers pays sûrs. Ce protocole étend l’application de l’accord à toute la frontière terrestre et aux voies intérieures navigables.

Rappelons que l’Entente sur les tiers pays sûrs fait en sorte que les migrants doivent présenter leur demande d’asile dans le premier pays sûr où ils mettent les pieds : les États-Unis ou le Canada. Avant son élargissement, cet accord ne s’appliquait pas aux personnes qui traversaient la frontière entre les postes de douane, d’où le succès du chemin Roxham.

Aujourd’hui, les migrants qui entrent par un chemin officiel ou irrégulier sont arrêtés et renvoyés aux États-Unis, à moins d’être admissibles sur la base de la nouvelle entente ou de remplir les critères d’une exception (par exemple : un membre de la famille est citoyen ou résident canadien, ou la personne en quête de protection est un mineur non accompagné).

PHOTO ANNE GAUTHIER, ARCHIVES LA PRESSE

Le poste de douane de Lacolle, où des migrants pourraient être amenés s’ils sont interceptés par la GRC

« Lorsque des personnes qui traversent entre des points d’entrée sont interceptées par la GRC ou la police de la région, elles sont amenées à un point d’entrée désigné », précise le porte-parole de l’ASFC, Guillaume Bérubé. C’est-à-dire aux installations de Lacolle, d’où elles seront refoulées vers les États-Unis si elles ne sont pas admissibles.

Qu’arrive-t-il aux personnes qui traversent la frontière sans se faire prendre par la police ?

Ça dépend. Si elles se font arrêter dans les 14 jours qui suivent leur entrée au pays, elles sont renvoyées aux États-Unis. Mais si elles réussissent à attendre 14 jours avant de présenter une demande d’asile, elles échappent aux nouvelles dispositions de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

La modification réglementaire est claire : la nouvelle entente s’applique aux demandeurs d’asile qui cherchent à entrer entre les points d’entrée s’ils font une demande d’asile « dans les 13 jours suivant leur entrée au Canada ».

Le Canada pourra-t-il refouler ces entrées irrégulières ?

Ce ne sera pas facile. D’une part, si les migrants réussissent à ne pas se faire détecter pendant 14 jours, ils pourront présenter une demande d’asile.

Mais même s’ils sont identifiés plus tôt, c’est la GRC qui aura le fardeau de la preuve et qui devra démontrer que ces personnes ont franchi la frontière entre des postes de douane sans se faire intercepter au Canada depuis moins de 14 jours.

« À mon avis, ces 14 jours, c’est un message de faux espoir », explique MStéphane Handfield, avocat spécialisé en immigration.

« Ce que ça envoie comme message aux demandeurs d’asile qui se trouvent du côté américain, c’est : passez maintenant la frontière de manière illégale, sans vous faire prendre par la police. Restez cachés pendant 13 jours et le 14e jour, levez la main et faites votre demande d’asile et l’Entente ne s’appliquera pas à vous. C’est prévu dans le protocole. »

Autrement dit, les migrants disposent de moyens détournés pour obtenir l’asile au Canada et éviter d’être refoulés, mais cela comporte de grands risques : d’abord le passage par les voies non sécurisées où les passeurs seront plus actifs, ensuite l’obligation d’échapper aux autorités pendant deux semaines qui les force à la clandestinité.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration, MStéphanie Valois

MStéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration, s’attend d’ailleurs à recevoir des demandes sous peu. « Je n’ai pas encore eu le “14 jours”, mais je l’attends », illustre-t-elle.

Combien de demandeurs d’asile pourront présenter une demande en 2023 ?

On l’ignore, mais ce nombre sera très certainement inférieur à celui de 2022, où près de 40 000 personnes sont entrées par le chemin Roxham sur un total de 91 870 demandeurs d’asile.

Toutefois, cette réduction des entrées irrégulières sera en partie compensée par une autre forme d’accueil. Le gouvernement du Canada s’est engagé à accueillir 15 000 demandeurs d’asile de plus cette année, dans le cadre de la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Ces réfugiés potentiels seront « des personnes déplacées des Amériques, y compris des Haïtiens », précise Jeremy Bellefeuille, directeur des communications du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, Sean Fraser.

Sur quelle base ces 15 000 demandeurs d’asile seront-ils choisis ?

Le ministère de l’Immigration est incapable de fournir les détails, disant être encore en train de déterminer comment ces gens seront acceptés.

« Cela favorisera une migration sûre et ordonnée comme solution de rechange aux voies d’accès irrégulières souvent dangereuses, y compris les points de pression comme la région du Darién Gap, entre la Colombie et le Panamá », explique Jeremy Bellefeuille.

Combien va coûter la mise en œuvre de la nouvelle entente ?

La réponse se trouve dans La Gazette du Canada : 61,5 millions sur 10 ans. « Ces coûts reflètent les coûts de transition, les coûts initiaux d’immobilisation et les coûts permanents de traitement, d’exploitation et d’application de la loi pour le gouvernement du Canada », indique-t-on.

Il est question d’achat de véhicules, de coûts d’acquisition et d’installation de matériel de bureau, et des frais de rénovation pour créer des espaces de traitement supplémentaires comme des salles d’entrevue.

« Des ressources supplémentaires seront nécessaires pour des tâches telles que la détermination de la recevabilité, les enquêtes, le renseignement, les examens, la surveillance des infrastructures, les litiges et l’entretien des véhicules », précise-t-on.

Ces modifications comportent-elles des risques ?

Oui, bien sûr. Cela va pousser des demandeurs d’asile à emprunter des chemins plus dangereux pour se rendre au Canada. Le gouvernement reconnaît que cela pourrait aussi « accroître les risques de traite de personnes et de violence sexuelle, qui visent souvent de manière disproportionnée les femmes et les filles migrantes, ainsi que les personnes LGBTQI ».

« Dans ces cas, les demandeurs d’asile peuvent être [exposés] à des dangers accrus, tels que le recours à des passeurs de clandestins, et risquent d’être victimes de violence physique, mentale ou financière », indique-t-on.

En savoir plus
  • 13 479
    Nombre de demandeurs d’asile interceptés par la GRC au chemin Roxham, de janvier à mars 2023
    SOURCE : Gouvernement du Canada
    31 %
    Pourcentage de mineurs chez les demandeurs d’asile ayant traversé la frontière de manière irrégulière de janvier 2017 à décembre 2022
    SOURCE : Gouvernement du Canada