Des pirates prorusses revendiquent l’attaque du site du premier ministre et de pages du Parlement, alors que Justin Trudeau reçoit son homologue ukrainien, Denys Chmyhal, à Toronto.

À partir de la fin de la matinée, mardi, le site internet du premier ministre a subi des pannes intermittentes. Sur son compte Telegram, le groupe prorusse NoName en revendique l’attaque.

« Ce n’est pas inhabituel pour des pirates russes de cibler des pays lorsqu’ils démontrent leur appui inébranlable pour l’Ukraine en recevant la visite d’une importante délégation politique ukrainienne, alors le moment choisi n’est pas étonnant », a dit Justin Trudeau en conférence de presse avec son homologue de Kyiv.

PHOTO CARLOS OSORIO, REUTERS

Les premiers ministres ukrainien et canadien, Denys Chmyhal et Justin Trudeau

« Laissez-moi être extrêmement clair : le fait que, pendant quelques heures, il y a eu une page du gouvernement qui a été difficile à accéder ne va nous dissuader en rien d’être présents et toujours là pour en faire plus pour soutenir l’Ukraine », a-t-il ajouté.

En fin d’après-midi, la situation s’est rétablie. « Nous avons collaboré avec Services partagés Canada et le Centre canadien pour la cybersécurité du Centre de la sécurité des télécommunications pour enquêter sur le problème et le résoudre le plus rapidement possible », a dit Pierre-Alain Bujold, porte-parole du Bureau du Conseil privé, le ministère du premier ministre.

Le Sénat a lui aussi subi une cyberattaque, mais son site fonctionnait normalement mardi en fin de matinée. « Nous pouvons confirmer qu’un incident fait l’objet d’une enquête », a écrit la porte-parole de la Chambre haute, Alison Korn.

L’équipe informatique du Parlement a également détecté « un nombre anormalement élevé de connexions » à son site lundi, dit Amélie Crosson, directrice des communications pour le président de la Chambre des communes, ce qui l’a également mis hors ligne par intermittence.

C’était une attaque par déni de service. Les systèmes de la Chambre ont réagi pour les protéger.

Amélie Crosson, directrice des communications pour le président de la Chambre des communes

Ce type de piratages par « DDoS » est justement la spécialité du groupe NoName. Ils consistent à submerger un site de demandes de connexion jusqu’à ce qu’il ne réponde plus.

« Hacktivistes »

NoName s’apparente à ce que les experts appellent des « hacktivistes » : des pirates informatiques aux motivations politiques. « Les attaques par DDoS sont une façon facile pour eux de faire passer leur message et de garder leurs vis-à-vis occupés », affirme Brett Callow, expert en cybermenaces à la firme d’antivirus Emsisoft.

C’est également l’avis du Centre de sécurité des télécommunications (CST), qui surveille l’intégrité des technologies de l’information au pays. L’organisme a pris note des problèmes qu’éprouvent « certains sites web du gouvernement du Canada », actuellement inaccessibles.

« Le CST et son Centre canadien pour la cybersécurité ont pu remarquer qu’il n’est pas inhabituel que des attaques par DDoS visent les pays qui accueillent des représentants du gouvernement ukrainien. Ces incidents attirent l’attention, mais ont très peu de conséquences sur les systèmes touchés », a écrit la porte-parole Robyn Hawco dans un courriel à La Presse.

Sur son compte Telegram, NoName dénonce un mécanisme de coopération que le Canada a proposé avec les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud pour faire face à l’alliance entre la Russie et la Chine.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE TELEGRAM

Le message du groupe NoName revendiquant la cyberattaque du site web du premier ministre canadien

Une alliance appelée à « se renforcer » après « de telles initiatives russophobes », déclare NoName sur son compte en anglais, avant de se vanter d’avoir mis hors ligne le site officiel du premier ministre.

Selon Brett Callow, de tels groupes sont vraisemblablement appuyés par l’État russe, voire exploités directement par Moscou.

Leur stratégie est assez simple. En gros, ils veulent que les gens pensent : « Oh mon Dieu ! S’ils peuvent pirater le site du premier ministre, qu’est-ce qu’ils peuvent attaquer d’autre ? Peut-être qu’ils peuvent provoquer des explosions d’oléoducs ? »

Brett Callow, expert en cybermenaces à la firme d’antivirus Emsisoft

L’expert en cybersécurité Steve Waterhouse explique que des cyberpirates comme ce groupe russe ont accès à des milliers de bots, des ordinateurs sous leur contrôle pour se connecter à haute fréquence sur les sites ciblés. « Ils veulent faire un coup d’éclat, dit-il. On va peut-être en voir d’autres qui vont écoper, y compris dans les entreprises privées. »

Les pirates russes revendiquent d’ailleurs également une attaque sur le site de Nova Bus, une filiale de Volvo établie à Saint-Eustache, dont le site est également en panne.

Un DDoS est là aussi en cause. « Mais pour nous, c’est plus un inconvénient qu’autre chose, dit le porte-parole Christos Kritsidimas. C’est notre site externe qui est affecté, on ne l’utilise pas pour faire des transactions. »

Des attaques sur l’infrastructure énergétique ?

Le premier ministre n’a pas nié, mardi, qu’un gazoduc canadien a pu faire les frais d’un piratage, comme le suggéraient des documents ayant fuité du Pentagone. « Je peux confirmer qu’il n’y a eu aucun dommage physique à une quelconque infrastructure énergétique à la suite de cyberattaques », a toutefois indiqué Justin Trudeau. Selon des médias comme le New York Times, des pirates auraient envoyé au Service fédéral de sécurité russe (FSB) des copies d’écran censées démontrer qu’ils pouvaient désactiver des systèmes de sécurité et augmenter la pression sur des valves dans un gazoduc non identifié au pays. L’information figurait dans une fuite de documents provenant prétendument du Pentagone, mais les experts remettent en question l’authenticité de certains d’entre eux. Le Centre de la sécurité des télécommunications refuse de commenter, « que ce soit pour confirmer ou infirmer, tout renseignement qui aurait fait l’objet d’une fuite », en raison de « la nature délicate du renseignement et du risque de révéler des tactiques, des techniques et des procédures », affirme la porte-parole Robyn Hawco.

En savoir plus
  • 4,4 millions de dollars américains
    C’est la rançon qu’a payée la société d’oléoduc Colonial Pipeline, frappée en 2021 par les cyberpirates du groupe DarkSide, vraisemblablement établis en Russie.
    source : THE Wall Street Journal