Le gouvernement canadien a présenté des excuses nationales le 9 juillet dernier pour le racisme systémique dont ont été victimes les membres du 2e Bataillon de construction ségrégué, durant la Première Guerre mondiale. L’histoire des Noirs au sein des Forces armées canadiennes s’écrit toujours. Un soldat à la fois.

Jeudi soir, le Musée canadien de la guerre présentera un webinaire intitulé « Au-delà des excuses : l’avenir de l’histoire militaire des personnes noires au Canada ». Pourquoi ? Parce que cette histoire reste aujourd’hui méconnue et gagne à être mise en lumière. Ce à quoi s’emploient plusieurs membres de la communauté.

PHOTO FOURNIE PAR SARAH ONYANGO

Sarah Onyango en compagnie de Clarence « Gus » Este, ancien combattant de la guerre de Corée. Né à Montréal, il a servi plus de 30 ans au sein des Forces armées canadiennes. La photo a été prise en 2013.

« Il ne s’agit pas simplement de demander des excuses. Il faut que nous-mêmes, dans la communauté noire, créions des ressources, de la matière première que les gens puissent aller consulter », résume Sarah Onyango, une animatrice à la télé et à la radio communautaire d’Ottawa qui sera la modératrice de la rencontre.

PHOTO FOURNIE PAR KATHY GRANT

Le 2e Bataillon de construction avait aussi une petite fanfare. Au centre sur la photo, l’homme tenant un saxophone est George William Stewart. C’est sa fille Blanche Stewart, morte à 102 ans, qui conservait cette photo.

Les excuses dont il est ici question sont celles que le premier ministre Justin Trudeau et la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, ont présentées à Truro, en Nouvelle-Écosse, à l’été 2022. Ils s’excusaient pour la ségrégation exercée envers les soldats noirs de la Première Guerre mondiale, dont des centaines ont formé le 2e Bataillon de construction. Cette unité ségréguée était chapeautée par des officiers blancs, à l’exception du chapelain William A. White.

Préserver l’héritage

La participation des Noirs dans l’histoire militaire canadienne remonte à la fin du XVIIIe siècle. Et, au fil des ans et des conflits, nombreux sont les membres de la communauté qui se sont engagés volontairement, désireux de servir.

PHOTO TIRÉE DU SITE BLACK CANADIAN VETERANS STORIES

Owen de Vere Rowe, ancien de l’armée canadienne

Ce fut le cas d’Owen de Vere Rowe. Antillais né à la Barbade, il s’est enrôlé dans le Corps de transmission de l’armée canadienne en 1942, à 20 ans. Bien plus tard, M. Rowe s’est employé à documenter l’histoire des Antillais dans l’armée canadienne. Une passion transmise à sa fille Kathy Grant, née à Montréal et aujourd’hui historienne en Ontario.

PHOTO FOURNIE PAR KATHY GRANT

L’historienne Kathy Grant

Je veux continuer à faire partager cet héritage de mon père. On doit faire en sorte d’honorer et de reconnaître les anciens combattants noirs et leur histoire. Il faut travailler encore davantage avec les écoles pour la faire connaître.

L’historienne Kathy Grant, en entrevue avec La Presse

L’évènement de jeudi soir au Musée canadien de la guerre s’inscrit dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs. « Je pense que nous faisons des efforts pour faire connaître ces histoires qui sont longtemps demeurées ignorées », indique Teresa Iacobelli, historienne de ce musée et spécialiste de la Première Guerre mondiale.

Président de la Ligue des Noirs du Québec, Max Stanley Bazin estime aussi que ce volet de l’histoire canadienne doit davantage être connu. « On sait qu’il y a eu une participation significative des personnes noires au sein des Forces armées canadiennes. C’est documenté, dit-il. Et c’est une réalité que, normalement, l’ensemble des Canadiens devraient avoir à l’esprit. Mais ce n’est pas enseigné dans les écoles. Ce n’est pas quelque chose qui est dit. »

Initiatives

Les institutions nationales telles les Forces armées canadiennes, le ministère des Anciens Combattants et le Musée canadien de la guerre évoquent la participation des Noirs dans l’histoire militaire du pays. À cela s’ajoutent des initiatives privées où l’on cherche à documenter de façon plus approfondie ce volet.

Kathy Grant a ainsi fondé le site internet Black Canadian Veterans Stories, où sont racontées diverses histoires individuelles, de toutes les époques et dans tous les secteurs de l’armée (terre, air, mer).

« Oui, on connaît maintenant mieux l’histoire du 2e Bataillon de construction. Mais des soldats noirs, il y en avait aussi à Vimy, à Passchendaele et sur le front de la Somme, dit-elle. Notre but est davantage de raconter les histoires individuelles de ces personnes que de faire une glorification de la guerre. »

Consultez le site du Musée canadien de la guerre

11,1 %

Proportion des membres des Forces armées canadiennes (FAC) et de la Première réserve s’identifiant comme appartenant à une minorité visible au 1er janvier 2023. Parmi eux, 12,6 % sont des officiers et 9,3 %, des militaires de rang.

Source : Forces armées canadiennes

1 547 870

Nombre de Canadiens s’identifiant comme Noirs au recensement de 2021. Ils constituent 4,3 % de la population canadienne.

Source : Statistique Canada

Ceux et celles qui ont ouvert la voie

PHOTO FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Raymond Lawrence (au centre), premier Noir maître de 1re classe de la marine canadienne

Quelques jalons de l’histoire des Noirs dans l’armée canadienne

1780 : aux origines

Les plus vieilles traces des Noirs dans l’armée remontent aux années 1780, selon Anciens Combattants Canada. Après la Guerre d’indépendance des États-Unis, des esclaves noirs en fuite s’installent sur des terres qu’on leur donne, en même temps que la liberté, en échange de leur enrôlement dans les forces britanniques.

1859 : une grande distinction militaire

PHOTO FOURNIE PAR ANCIENS COMBATTANTS CANADA

Le matelot de 2e classe William Neilson Edward Hall

En 1859, William Hall devient le premier Noir à recevoir la Croix de Victoria, plus haute distinction militaire canadienne. Officier d’artillerie navale sur le HMS Shannon, il se distingue lors de la bataille de Lucknow, en Inde (novembre 1857), où des rebelles encerclent la garnison britannique. Un timbre commémoratif rappelle son histoire. Le 27 novembre 2022, un navire de patrouille extracôtier portant son nom est entré en service.

1914-1918 : Première Guerre mondiale

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE,
COLLECTION D’ARCHIVES GEORGE METCALF

Quelques soldats du Corps d’armée canadien durant la Première Guerre mondiale

Près de 1300 soldats noirs sont engagés dans le Corps expéditionnaire du Canada lors de la Première Guerre mondiale. Ils occupent entre autres des postes de traducteurs, artilleurs, combattants, tireurs d’élite, bûcherons et autres. Des centaines font partie du 2e Bataillon (ségrégué) de construction.

1944 : un pilote fait ses preuves

Allan Selwyn Bundy, considéré comme le premier pilote noir de combat de l’Aviation royale canadienne (ARC), participe à sa première mission d’attaque le 15 octobre 1944. La formation de 12 appareils cible et coule deux navires ennemis, près de Kristiansand, en Norvège. Les roquettes tirées de l’avion de Bundy atteignent un pétrolier. Deux autres soldats, Gerry Bell et Eric Watts, sont considérés comme les premiers pilotes noirs de l’ARC.

1944 : une rare femme qui sert outre-mer

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE,
COLLECTION BEAVERBROOK D’ART MILITAIRE

La soldate Eva May Roy peinte en 1946
par Molly Lamb Bobak

Eva May Roy s’enrôle dans l’armée en 1944 et rejoint les rangs du Canadian Women’s Army Corps (CWAC). L’une des nombreuses femmes noires dans l’armée canadienne, elle sert outre-mer, une rareté. Elle est connue grâce à un tableau peint en 1946 par Molly Lamb Bobak, qui a fait le tour du monde. Retournée à la vie civile en 1946, Eva May Roy s’enrôle de nouveau en 1955 et obtient le rang de sergent. Elle quitte les rangs en 1965 et s’éteint en 1990.

1939-1945 : un premier Noir rejoint la marine

Percy Haynes est l’une des très rares personnes noires ayant fait partie de la marine canadienne durant la Seconde Guerre mondiale. Refusé au moment de s’enrôler, Haynes insiste auprès du secrétaire à la marine, Angus L. McDonald, qui a fini par donner son accord. Il est considéré comme le premier Noir ayant rejoint la marine canadienne de l’ère moderne.

1953 : un soldat brise des plafonds de verre

Après avoir rejoint la marine en 1953, Raymond Lawrence grimpe plusieurs échelons. Il est devenu le premier Noir maître de 1re classe et premier capitaine d’armes sur un navire. Il sera aussi le premier Canadien noir nommé à l’Ordre du mérite militaire.

1961 : un autre pionnier

PHOTO FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES
ET LE ROYAL MONTREAL REGIMENT

Le sergent-major Edward Watkins

En 1961, Edward Watkins, dit Eddie, est nommé sergent-major de régiment au sein du Royal Montreal Regiment à Westmount. Selon le site de cette unité, il est « fort probablement » le premier Noir à accéder à ce grade dans toute l’armée canadienne. Déployé en Europe le 1er décembre 1939, il y passe toute la Seconde Guerre mondiale. Il est mort le 6 février 2001 à l’hôpital des Anciens Combattants de Sainte-Anne-de-Bellevue.

1968 : médecin... et pilote !

PHOTO TIRÉE DU SITE D’ANCIENS COMBATTANTS CANADA

Le major Stephen Blizzard

En 1968, à la base canadienne de Moose Jaw, Stephen Blizzard reçoit ses ailes de pilote. Une deuxième carrière commence alors pour ce natif de Trinité-et-Tobago, déjà diplômé en médecine ! Pilote d’avion à réaction, M. Blizzard a longuement contribué au développement de la médecine aéronautique.

9 juillet 2022 : des excuses nationales

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

À Truro, en Nouvelle-Écosse, le premier ministre Justin Trudeau et la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, présentent des excuses nationales pour le racisme systémique que les membres du 2e Bataillon de construction ont subi avant, pendant et longtemps après la Première Guerre mondiale. Plus de 600 hommes ont été acceptés dans ce premier et seul bataillon composé uniquement de Noirs dans l’histoire militaire du Canada. La majorité des officiers étaient blancs.

Sources : cabinet du premier ministre du Canada, Musée canadien de la guerre, The Maple Leaf, L’Encyclopédie canadienne, ministère des Anciens Combattants, Forces armées canadiennes, Black Canadian Veterans Stories et Western University