(Ottawa) L’octroi d’un contrat de télécommunications controversé à une société liée à la Chine devrait faire allumer un voyant rouge sur le tableau de bord du gouvernement, jugent les élus du comité parlementaire qui étudie cette affaire.

Comment Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a-t-il pu donner le feu vert à l’entente avec Sinclair Technologies alors que les États-Unis avaient mis à l’index Hytera Communications, une société liée à Pékin qui la contrôlait depuis 2017 ?

Pourquoi la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ne possède-t-elle pas une liste de sociétés potentiellement malveillantes ? Est-ce normal que la police fédérale s’en remette aux protocoles en place chez SPAC pour les contrats touchant la sécurité nationale ?

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, ainsi que deux hauts responsables de la GRC, Bryan Larkin et Samantha Hazen, ont eu droit à un barrage de questions au Comité permanent de l’industrie et de la technologie, qui a repris ses travaux lundi.

Les comparutions visent à faire la lumière sur ce contrat de télécommunications d’environ 550 000 $ accordé à Sinclair Technologies, établie au Canada, mais contrôlée par Hytera Communications, une société chinoise détenue à environ 10 % par Pékin, par le truchement d’un fonds d’investissement.

La GRC a suspendu l’entente le 8 décembre dernier, après que son existence a été révélée dans un reportage de Radio-Canada. La police fédérale a tout de même assuré que l’équipement de Sinclair Technologies ne représentait aucun risque de sécurité.

« Pourquoi le contrat a-t-il été suspendu immédiatement s’il a été déterminé qu’il n’y avait pas de risque à la sécurité nationale et que tous les protocoles ont été respectés ? », s’est enquis le député conservateur Brad Vis auprès du ministre Mendicino.

Esquivant la question, ce dernier a plaidé qu’il était « important de demeurer vigilant », et que cette vigilance « exige que nous réévaluions constamment la situation pour s’assurer de protéger nos infrastructures critiques d’ingérence étrangère potentielle ».

Un manque d’informations ?

Interrogé par les représentants néo-démocrate et conservateur, le sous-commissaire des Services de police spécialisés de la GRC, Bryan Larkin, a dit que contrairement à la Commission fédérale des communications à Washington, la police fédérale n’a pas d’inventaire des compagnies aux activités ou accointances douteuses.

« Pas à ma connaissance, non », a-t-il signalé.

« J’imagine que le fait de ne pas avoir ce genre de liste aide à mieux comprendre que ce type de brèche se produise », a réagi le conservateur Rick Perkins.

À son tour de parole, son collègue libéral Nathaniel Erskine-Smith a suggéré aux responsables de la GRC de solliciter les conseils de Citizen Lab, de la Munk School of Global Affairs de Toronto, un laboratoire axé sur l’étude des menaces numériques pour la société civile et les gouvernements.

« C’est vraiment de classe mondiale. D’autres organisations de la société civile et gouvernements font appel à leurs services. Ce serait bien que les gens de la GRC qui s’occupent de l’approvisionnement entrent en contact avec l’équipe », a-t-il exposé.

Un contrat qui n’aurait pas dû être octroyé

Le gouvernement Trudeau a convenu que le contrat n’aurait jamais dû être octroyé par Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) en octobre 2021, d’autant plus que les États-Unis avaient banni les équipements d’Hytera Communications en mars 2021.

« C’est très préoccupant. Notre fonction publique indépendante n’aurait jamais dû signer ce contrat. […] On s’attend à ce que les questions de sécurité nationale soient au cœur de toutes les décisions que l’on prend », a notamment tranché la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly en Chambre, en décembre dernier.

Cette affaire « davantage un problème d’image que de sécurité », car « il est difficile de briser un message crypté », estime Stephanie Carvin, professeure adjointe d’affaires internationales de l’Université Carleton spécialisée dans les enjeux de sécurité nationale.

L’enjeu « le plus significatif » est peut-être celui de l’approvisionnement, étant donné que SPAC a préféré la soumission de la société en partie détenue par Pékin à celle de l’entreprise québécoise Comprod, qui a offert 60 000 $ de moins, d’après les informations de Radio-Canada.

La société d’Aurora, en Ontario, n’a pas souhaité commenter la décision d’Ottawa de mettre le contrat sur la glace, mais a plaidé qu’elle était « une entité complètement indépendante », et que le transfert de propriété en 2017 n’avait en rien érodé cette indépendance.