(Ottawa) Le Japon opère un virage majeur de sa doctrine de défense, et Justin Trudeau applaudit ce changement de cap. Le contexte géopolitique ne donne pas d’autre option à Tokyo que de rompre avec son principe de stricte posture défensive, a argué le premier ministre du Canada en recevant à Ottawa son homologue nippon, Fumio Kishida.

Le dirigeant japonais effectuait jeudi une visite éclair au Canada dans le cadre de sa tournée de cinq capitales de pays du G7. Il rencontre ses homologues en amont de la rencontre du Groupe des sept, qui se tiendra en mai prochain à Hiroshima, lieu symbolique s’il en est.

M. Kishida a confirmé qu’il n’avait arraché aucun engagement à son hôte relativement à l’approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL), dont le Japon a soif, comme d’autres qui se sèvrent du gaz de la Russie (voir capsule).

Il a néanmoins obtenu de son interlocuteur canadien un sceau d’approbation clair par rapport à la réforme historique du Japon en matière de sécurité – Tokyo prévoit doubler son budget annuel de défense en le faisant passer d’environ 1 % de son PIB à 2 % d’ici 2027.

PHOTO DAVE CHAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre du Japon, Fumio Kishida

« Nous accueillons [la réforme] avec beaucoup de positivité », car « créer de la prospérité et la paix pour nos citoyens passe en partie par des investissements dans les infrastructures de sécurité », a affirmé Justin Trudeau en conférence de presse au Centre national des Arts, à un jet de pierre des édifices du Parlement.

Le monde a changé quand la Russie a choisi d’envahir un voisin pacifique. Les menaces persistantes venant des États instables et autoritaires à travers le monde vont nous forcer, malheureusement, à continuer d’en faire plus.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Après l’Ukraine, l’Asie ?

Lorsqu’est venu le temps de commenter le dossier, M. Kishida a insisté sur le fait que deux États belliqueux, la Chine et la Corée du Nord, faisaient peser des menaces intenables sur la stabilité et la sécurité de son pays, et sur la région indopacifique dans son ensemble.

Cette région, a-t-il fait valoir, n’est pas immunisée contre des tentatives comme celles de la Russie de « changer unilatéralement le statu quo ». Il a cité à titre d’exemple les dizaines de tirs de missiles balistiques effectués en 2022 par la Corée du Nord, dont un est retombé dans la mer du Japon en novembre dernier.

Ainsi est-il clair à ses yeux que Vladimir Poutine a des émules dans la région. « L’Ukraine aujourd’hui pourrait être l’Asie demain », a d’ailleurs carrément averti le dirigeant dans un entretien accordé au Washington Post il y a quelques jours.

Le gouvernement japonais a approuvé à la mi-décembre une révision radicale de sa doctrine de défense pour tenter notamment de contrecarrer la puissance militaire chinoise, qualifiée par Tokyo de « défi stratégique sans précédent » pour sa sécurité.

Chercheur émergent au Réseau d’analyse stratégique (RAS), Maxandre Fortier relève que « ce qui surprend dans le cas japonais est le changement du paradigme qui prévalait depuis 1945 », puisque « la Constitution japonaise l’empêche techniquement d’avoir une armée ».

Un lien peut selon lui être établi entre cette réorientation et l’annonce par l’Allemagne d’un réinvestissement en défense en réponse à l’invasion de la Russie en Ukraine, « ce dernier évènement et les tensions autour de la question taïwanaise » contribuant à un « même sentiment ».

Après son escale dans la capitale canadienne, le leader japonais s’est envolé à destination de Washington.

Il y a fort à parier que les enjeux militaires seront au cœur des discussions au sud de la frontière. C’est que l’administration Biden aide le Japon à harmoniser ses infrastructures militaires et sécuritaires à celles de l’armée américaine, a dit au Washington Post l’ambassadeur des États-Unis au Japon, Rahm Emanuel.

Avec l’Agence France-Presse

Approvisionnement en énergie

Le Japon, qui avec la Corée du Sud a investi dans la construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié à Kitimat, en Colombie-Britannique, a déjà des velléités d’expansion de l’installation dont les activités devraient démarrer en 2025. Le secteur énergétique canadien pousse également en ce sens. « Il n’y a pas eu d’engagement concret », a indiqué le premier ministre Fumio Kishida au sortir de son dîner de travail avec Justin Trudeau. En revanche, les deux hommes ont souligné que chacun enverra dans le pays de l’autre une délégation commerciale. Au printemps 2023, l’équipe japonaise cherchera des occasions « relativement aux véhicules et aux batteries carboneutres », a précisé le premier ministre du Canada.

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 1976
    Année où le gouvernement japonais a plafonné à 1 % du PIB les dépenses militaires en vertu d’une politique uniquement défensive.
    Source : The Japan Times