Le flux de demandeurs d’asile interceptés à la frontière entre le Québec et les États-Unis par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) explose littéralement.

« Ça commence à ressembler pas mal à une crise humanitaire », se désole Stephan Reichhold, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.

Après une accalmie en 2020 et en 2021, en raison de la fermeture des frontières, ce flux a augmenté progressivement tout au long de 2022, d’un peu plus de 2000 personnes par mois en début d’année à plus de 3500 par mois pendant l’été. En tout, 23 358 personnes ont été interceptés par la GRC entre janvier et août, selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

C’est plus, en huit mois, que les totaux pour toute l’année enregistrés en 2018 et en 2019.

Pour comparer des comparables, le nombre d’interceptions a plus que doublé au cours des huit premiers mois de 2022 par rapport à la même période en 2019 : 23 358 contre 10 343.

Ces entrées se font presque exclusivement au Québec, en raison de la notoriété du chemin Roxham. En tout, 99,3 % du total canadien s’est fait au Québec.

L’ensemble des demandes d’asile, qui englobe les interceptions par la GRC, les autres entrées terrestres et les points d’entrée aériens, atteint 36 370 au Canada pour les huit premiers mois de l’année, dont 29 465 au Québec. C’est deux fois plus qu’en 2019 (17 710).

Hébergement temporaire

Le gouvernement québécois, grâce au Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), offre 1150 places d’hébergement temporaire aux demandeurs d’asile. Pour combler les besoins au-delà de ce seuil, il compte sur Ottawa. Cela représente un nombre important de chambres d’hôtel additionnelles : « au moins 2000 », selon Stephan Reichhold. Le gouvernement fédéral y parvient en signant des ententes avec des établissements hôteliers de Montréal, de Laval et de Longueuil.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’hôtel Place Dupuis, rue Saint-Hubert, accueille des demandeurs d’asile de façon temporaire.

« Peu importe le nombre de demandeurs qui arrivent, le fédéral est capable de réserver des chambres dans de nouveaux hôtels, note-t-il. Il n’y a pas de plafond. La difficulté qu’on a, nous, les organismes, c’est que les demandeurs d’asile qui sont hébergés par le PRAIDA reçoivent des services psychosociaux et de santé, ce qui n’est pas le cas dans les hôtels fédéraux. Alors, quand il y a des cas qui demandent des services, le fédéral les transfère, dès qu’une place se libère, du côté du PRAIDA, pour une prise en charge. C’est un jeu de chaises musicales. »

Le Québec est la seule province à offrir un hébergement temporaire à l’arrivée.

« C’est un dispositif qui n’existe pas ailleurs au Canada, où les demandeurs doivent se débrouiller, souligne Stephan Reichhold. À Toronto, c’est souvent les centres d’hébergement pour personnes itinérantes, des organismes de charité ou des églises qui jouent ce rôle. »

Le PRAIDA a permis d’héberger 19 310 personnes en 2019 dans deux centres, l’hôtel Place Dupuis et le YMCA de la rue Tupper, au centre-ville de Montréal. En 2022, il en a hébergé 11 563 pour les neuf premiers mois de l’année, soit moins que les 14 384 hébergements de 2019, pour la même période.

Plusieurs demandeurs d’asile rencontrés par La Presse lundi devant la porte de l’hôtel Place Dupuis, rue Saint-Hubert, y séjournaient depuis quelques jours. D’autres arrivaient, bagages à la main, pour faire leur enregistrement. Sur place, on leur demandait de porter un masque et on vérifiait leur admissibilité.

Mais l’hébergement temporaire, comme le terme l’indique, est une solution temporaire. Qu’arrive-t-il après ? C’est là que les choses se gâtent.

Deux éléments nouveaux, qui n’étaient pas aussi présents en 2019, s’ajoutent pour rendre encore plus difficile la prise en charge de ces demandeurs d’asile, qui arrivent pour la grande majorité du Mexique, d’Haïti et de la Colombie, en ce moment.

Un an d’attente

Le premier problème, c’est la machine bureaucratique fédérale, qui semble s’être enrayée depuis la pandémie, comme pour les visas, les passeports et la gestion des douanes, et qui est incapable de les prendre en charge dans des délais raisonnables, en raison notamment du manque de personnel.

Un demandeur d’asile peut attendre un an avant de passer une entrevue de recevabilité pour obtenir le document de demandeur d’asile (DDA). Auparavant, cette entrevue était faite le jour de son arrivée ou dans les 24 heures.

« J’ai des clients qui rentrent maintenant et qui ont rendez-vous avec l’Agence des services frontaliers dans un an », confirme MStéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.

Donc, pendant un an, leur dossier n’est même pas devant le tribunal. Et une fois que leur dossier est déféré au tribunal par l’Agence, il y a un délai d’un à deux ans, facilement.

MStéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration

Cela crée un cercle vicieux infernal parce que pour obtenir un permis de travail, les demandeurs d’asile doivent avoir le DDA, précise Stephan Reichhold, de la Table de concertation. « C’est la clé pour obtenir un permis de travail, et tant qu’on n’a pas ça, on ne peut pas obtenir un permis de travail, dit-il. Les gens veulent tous travailler, mais ils sont obligés d’aller à l’aide sociale, qui est un dernier recours, car c’est quasiment impossible de vivre avec ça. »

Le montant des prestations d’aide sociale pour un adulte est de 726 $ à 870 $ par mois, en fonction de ses contraintes temporaires à l’emploi.

La crise du logement

Un autre élément complique la gestion des demandes d’asile depuis la réouverture des frontières : la crise du logement. Où peut-on loger tous ces nouveaux venus qui doivent en principe quitter les hébergements temporaires au bout de quelques jours ou de quelques semaines ? La pénurie de logements, on le sait, est plus grave dans le cas des lieux abordables.

Une fois qu’ils sortent de l’hébergement temporaire, c’est là qu’on voit vraiment un problème parce qu’ils sont laissés à eux-mêmes et doivent trouver un logement. Certains organismes les aident, mais connaissant la situation du logement abordable à Montréal, ce n’est pas du tout évident.

Stephan Reichhold, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes

« Des personnes se déplacent maintenant vers les régions, mais ça reste quand même très limité comparé aux dizaines de milliers qui sont à Montréal en ce moment. »

MStéphanie Valois ajoute que ces gens ne restent pas nécessairement au Québec après avoir quitté le centre d’hébergement. « J’ai beaucoup de clients qui vont vers Toronto. Ils peuvent être hébergés ici au début, mais après ça, ils vont ailleurs, ils se déplacent. »