(Ottawa) Le poids du français continue de reculer au Québec et dans l’ensemble du pays tandis qu’un nombre croissant de Canadiens parlent une autre langue que le français ou l’anglais à la maison, selon les données du recensement de Statistique Canada publiées mercredi. Cette tendance inquiète Québec et préoccupe Ottawa.

7,8 millions

La proportion de personnes qui ont déclaré avoir le français comme langue maternelle est en baisse. Elle est passée de 77,1 % à 74,8 % de 2016 à 2021 au Québec. Ce déclin s’observe dans l’ensemble du pays, où la proportion de francophones est passée de 20,6 % à 19,6 % durant ces cinq années. En nombre absolu, il y a davantage de locuteurs du français au Canada que lors du dernier recensement, avec 7,8 millions de personnes dont c’est la première langue officielle parlée et 10,7 millions qui peuvent soutenir une conversation dans cette langue. « Le nombre de personnes qui parlent et connaissent le français n’a jamais été aussi élevé que maintenant au Canada, a observé le directeur adjoint du Centre de démographie de Statistique Canada, Éric Caron-Malenfant, en conférence de presse. Cependant, comme le nombre de personnes qui parlent d’autres langues augmente plus rapidement, la proportion des Canadiens qui parlent ou connaissent le français est à la baisse depuis quelques recensements. » Cette diminution est également constatée au Québec pour la proportion de personnes dont le français est la première langue officielle parlée, qui a chuté de 83,7 % à 82,2 % d’un recensement à l’autre.

12,7 %

C’est la proportion de Canadiens qui parlent une autre langue que le français ou l’anglais de façon prédominante à la maison. En 1991, elle était de 7,7 % et elle a graduellement augmenté au cours des 30 dernières années. Le nombre de personnes s’exprimant principalement dans une autre langue à la maison est passé de 4 millions à 4,6 millions de 2016 à 2021, soit une hausse de 16 %. Les langues d’Asie du Sud comme le malayalam, l’hindi, le pendjabi ou le gujarati étaient les plus utilisées. « C’est une hausse qui est en très grande partie liée à l’immigration au Canada, a expliqué Éric Caron-Malenfant. La grande majorité des immigrants ont une langue autre que le français ou l’anglais comme langue maternelle ou langue parlée à la maison. » En tout, 9 millions de personnes, soit une personne sur quatre, ont une langue maternelle autre que le français ou l’anglais. Statistique Canada note qu’il s’agit d’un record depuis que cette question a été incluse dans le recensement en 1901. Outre le français et l’anglais, le mandarin et le pendjabi sont les deux autres langues les plus parlées au pays.

Bilinguisme

Le Québec compte davantage de personnes qui maîtrisent les deux langues officielles, alors que leur nombre a diminué dans les autres provinces. Le taux de bilinguisme français-anglais est passé de 44,5 % à 46,4 % en cinq ans au Québec, et de 9,8 % à 9,5 % ailleurs au pays. Ces tendances contraires font en sorte que la proportion de Canadiens qui parlent les deux langues officielles dans l’ensemble du pays est demeurée stable à 18 %. Au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue, le taux de bilinguisme est demeuré pratiquement inchangé à 34 %. Il n’en demeure pas moins que c’est chez les francophones que l’on retrouve la plus grande proportion de personnes bilingues français-anglais (47,6 %) au pays, alors que la proportion d’anglophones (9 %) ou d’allophones (11,5 %) qui maîtrisent le français a quelque peu diminué. Sans surprise, c’est la région de Gatineau, au Québec (65 %), qui est la plus bilingue, suivie de la grande région de Montréal (56 %).

Québec inquiet

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François Legault, premier ministre du Québec

« Ce que je vois, c’est inquiétant, puis on a eu raison d’agir avec le projet de loi 96 », a affirmé le premier ministre François Legault avant la réunion du Conseil des ministres, mercredi. Lors du dernier congrès de la Coalition avenir Québec, il avait déclaré que le Québec risquait de devenir « une Louisiane » si Ottawa ne lui cédait pas les pleins pouvoirs en immigration. « On se retrouve à la croisée des chemins et j’espère que les oppositions aujourd’hui réalisent le péril du français pour les prochaines années, et j’espère qu’elles vont revenir sur leur proposition de charcuter la loi 96 », a déclaré à son tour le ministre de la Langue française, Simon Jolin-Barrette. Le Parti libéral du Québec, le Parti québécois et le Parti conservateur du Québec avaient voté contre cette réforme de la Charte de la langue française en mai. La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, n’a pas voulu dire si elle s’inquiétait de ce déclin du poids démographique du français. « Nous, on a voté contre 96 parce que ça va trop loin dans la division », a-t-elle rappelé.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles

Ottawa préoccupé

Sur la scène fédérale, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) presse le gouvernement d’atteindre ses cibles d’immigration francophone. « C’est ce qui est frustrant : rien de ce qu’on voit aujourd’hui n’était inévitable », a déploré sa présidente, Liane Roy, dans un communiqué. Pour la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, ces nouvelles données du recensement sont « préoccupantes » et démontrent l’importance d’adopter le projet de loi C-13 qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles. Le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique estiment tous qu’il ne va pas assez loin pour renverser la tendance. « Ceci doit être l’ultime signal d’alarme pour le gouvernement libéral », a déclaré le député bloquiste Mario Beaulieu, par communiqué.

Avec Charles Lecavalier

189 000

C’est le nombre de personnes dont la langue maternelle est autochtone. Le Québec est la province où elles sont le plus nombreuses (45 600). Les langues cries et l’inuktitut sont les plus parlées à la maison. En tout, 183 000 personnes ont affirmé s’exprimer régulièrement dans une langue autochtone à la maison, dont 86 000 de façon prédominante. En 2019, le gouvernement fédéral avait adopté une loi pour la réappropriation des langues autochtones au pays.