(Ottawa) Un an après que les talibans eurent repris le contrôle de l’Afghanistan, les voix s’élèvent pour exhorter le gouvernement canadien à passer à la vitesse grand « v » dans l’accueil de réfugiés afghans, alors qu’Ottawa est à la traîne quant aux objectifs qu’il s’est fixés.

Un peu plus de 17 300 Afghans sont arrivés au Canada depuis août dernier sur les 40 000 que le gouvernement de Justin Trudeau a promis de réinstaller.

Aman Lara, un organisme à but non lucratif aidant des Afghans à trouver refuge au Canada, estime qu’il y a environ 8000 ressortissants qui ont reçu l’autorisation de se rendre au pays par le biais d’un programme d’immigration spécial pour les personnes qui ont aidé les Forces armées canadiennes (FAC) ou qui ont œuvré pour l’ambassade canadienne en Afghanistan. Or, ces Afghans ayant une approbation de voyage n’arrivent pas à se rendre, a indiqué l’ONG.

Le directeur exécutif de l’organisation, Brian Macdonald, a affirmé en entrevue que 3000 autres Afghans ayant collaboré avec le Canada attendent toujours une réponse d’Ottawa.

Un ancien interprète afghan auprès des FAC a dit être dans cette situation, lundi, au cours d’une conférence de presse avec des députées néo-démocrates pressant Ottawa d’en faire davantage pour répondre à la crise. Ce dernier, dont l’identité est protégée pour ne pas nuire à sa sécurité, a souligné l’urgence de la situation. « C’est une question de vie ou de mort », a-t-il dit en ajoutant que les talibans ont émis un mandat d’arrestation contre lui.

Il a raconté avoir soumis son dossier à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) il y a un an et n’avoir reçu depuis qu’une réponse automatisée par courriel.

« À chaque jour qui passe, le danger et les risques d’être poursuivis par les talibans s’intensifient », a insisté la porte-parole néo-démocrate en matière d’immigration, Jenny Kwan.

Elle a pressé les libéraux de prolonger et élargir leur programme spécial, pour lequel un seuil de 18 000 Afghans a été fixé. Ce plafond est « arbitraire » et doit être levé, a martelé Mme Kwan.

« Nous demandons au gouvernement du Canada de maintenir le programme d’immigration spécial ouvert, sans limite […], jusqu’à ce que chaque personne ayant aidé le Canada puisse se sauver », a renchéri M. Macdonald.

Les conservateurs souhaitent aussi la prolongation de ce programme. Leur porte-parole en matière d’immigration, Jasraj Singh Hallan, a accusé les libéraux de laisser les Afghans en plan.

« Ce gouvernement n’a pas tenu compte des avertissements des experts concernant la nécessité d’avoir un plan d’évacuation et il continue à ne pas tenir ses engagements envers nos partenaires en Afghanistan. Les Afghans qui ont servi aux côtés de notre pays méritent mieux », a-t-il soutenu dans une déclaration écrite.

Le bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe implore aussi le gouvernement Trudeau d’en faire plus. Il estime notamment que de libérer les réfugiés afghans de l’exigence de fournir des données biométriques aiderait leurs dossiers à cheminer plus vite.

« Ça pourrait être fait à l’arrivée de ces gens-là au Canada, […], mais le gouvernement s’entête à refuser cette demande-là qui est faite par plusieurs ONG et par les oppositions au Parlement. »

Ces appels à redoubler de vitesse surviennent alors que les agences humanitaires travaillant en Afghanistan sonnent l’alarme sur le fait que le pays est dans une grave crise humanitaire, avec 18,9 millions de personnes confrontées à la faim aiguë.

Un regroupement de 15 organisations incluant la Croix-Rouge et Vision Mondiale a récemment lancé une campagne pour demander au Canada de prévoir des exemptions à ses sanctions envers les talibans puisque celles-ci les empêchent d’acheminer de l’aide sur le terrain.

« [Ces] sanctions, en plus des provisions antiterrorisme, signifient que nos agences pourraient potentiellement être poursuivies en vertu du Code criminel canadien », a résumé Reyhana Patel, responsable des relations publiques pour l’ONG Islamic Relief Canada.

Le comité spécial sur l’Afghanistan de la Chambre des communes a recommandé, dans un rapport présenté en juin, que des exemptions soient décrétées.

Comparaissant devant ce comité en mai, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, avait reconnu qu’il y a « certainement un problème quant à la façon dont on interprète le Code criminel, car cela limite l’aide humanitaire qui peut être offerte par le Canada en Afghanistan ».

Le député Brunelle-Duceppe déplore qu’aucune exemption n’ait encore été accordée. « On parle de vies humaines et, pour une virgule dans un Code criminel, on fait en sorte que ces gens-là souffrent et peut-être ne s’en sortiront pas vivants. Non seulement c’est malheureux et absurde, mais c’est inacceptable. »

Sur les 17 335 réfugiés arrivés au Canada depuis un an, 7300 ont été accueillis en vertu du programme spécial pour des anciens interprètes et autres Afghans ayant travaillé avec Ottawa en Afghanistan.

Le programme a pratiquement atteint sa limite de 18 000 personnes puisque plus de 15 000 demandes ont été reçues et le bureau du ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a fait savoir que des références pour les places restantes ont été recueillies.

Pendant ce temps, près de 72 000 Ukrainiens ont gagné le pays en 2022 seulement, selon les statistiques gouvernementales.

Vincent Hughes, porte-parole du ministre Fraser, a soutenu que les programmes d’immigration afghans et ukrainiens sont très différents.

Aider à faire sortir les gens de l’Afghanistan est très difficile, a-t-il plaidé, car le Canada n’y a pas de présence diplomatique et ne reconnaît pas le gouvernement taliban. « Notre engagement à faire venir au Canada au moins 40 000 Afghans vulnérables demeure et il est l’un des plus importants programmes au monde », a-t-il affirmé.

« La situation en Afghanistan est unique, car nous sommes confrontés à des défis qui n’ont pas été présents dans d’autres initiatives de réinstallation à grande échelle », a-t-il ajouté.

Au chapitre du parrainage privé de réfugiés afghans, le directeur d’Actions réfugiés Montréal, Paul Clarke, a l’impression que le traitement des demandes en provenance d’Afghanistan par Ottawa a accéléré depuis un an.

« On a l’impression que nos dossiers afghans ont été mis en haut de la pile », a-t-il dit.

Or, il croit que les organisations comme la sienne ont les mains liées pour en faire plus en raison du maximum de dossiers de parrainage qui peuvent être soumis au Québec chaque année.

Selon lui, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration doit rehausser ses seuils en la matière. Interpellé sur ce point, le bureau du ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet, n’a pas directement répondu à la question.

« Ottawa a encore une fois démontré dans ce dossier son incapacité à gérer une grande quantité de dossiers et (n’)a admis que 17 000 (réfugiés afghans). Il va de soi que plus le fédéral en acceptera, plus grand sera le nombre de ressortissants afghans qui se destineront au Québec », a soutenu le ministre dans une déclaration écrite fournie par son équipe.

Par ailleurs, M. Boulet a relevé qu’« il semble qu’une part importante des personnes réfugiées afghanes arrivées à ce jour a préféré demeurer dans la grande région de Toronto où des membres de leurs familles ou des proches étaient déjà installés ».

Avec des informations de Marie Woolf, La Presse Canadienne