Il a reçu une coiffe cérémonielle autochtone. Il a rendu silencieuse une foule de milliers de personnes quand il s’est recueilli devant des tombes d’un ancien pensionnat pour Autochtones. Et il a présenté des excuses pour le rôle de « nombreux chrétiens » dans ces pensionnats.

« C’est d’ici, de ce lieu tristement évocateur, que je voudrais entamer ce qui habite mon âme, un pèlerinage pénitentiel », a déclaré lundi matin le pape François tandis qu’il visitait le site de l’ancien pensionnat de Maskwacis, à une heure au sud d’Edmonton. « Je viens sur vos terres natales pour vous dire personnellement combien je suis affligé, pour implorer de Dieu pardon, guérison et réconciliation, pour vous manifester ma proximité, prier avec vous et pour vous. Je demande humblement pardon pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones. »

Les excuses du pape ont été accueillies par des applaudissements de la foule.

Des paroles qui ont aussi satisfait l’aîné cri John Cryer. Il participait lundi après-midi à une conférence de presse des chefs de la Confédération du traité 6, qui regroupe des Premières Nations du nord de l’Alberta ayant signé un traité avec la Couronne en 1876.

[Le pape] a présenté ses excuses. Je m’attends à ce qu’ils [l’Église catholique] travaillent sur la guérison. Après tout, nous cheminons ensemble sur ce plan.

L’aîné cri John Cryer

Les chefs présents à la conférence de presse n’ont pas tous été aussi indulgents face aux excuses du pape. « Ça va rouvrir des blessures pour les survivants », a dit le chef Desmond Bull, de la Première Nation Louis Bull. D’autres ont souligné que beaucoup d’anciens élèves des pensionnats sont morts avant d’entendre ces excuses de l’Église, qui a administré les deux tiers de ces établissements pour le compte du gouvernement fédéral.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE DE CPAC

Conférence de presse des chefs de la Confédération du traité 6, accompagnés d’une ancienne élève crie des pensionnats pour Autochtones

M. Cryer est toutefois revenu à la défense du pape durant la période de questions. Quand un journaliste cri a demandé pourquoi une coiffe cérémonielle avait été offerte au pape, M. Cryer a tenu à répondre au nom du groupe de chefs et de survivants assemblés devant les journalistes. « Ça veut dire qu’il fait partie de notre communauté, que nous l’avons adopté. » Il a aussi apprécié le fait que le pape ait parlé en espagnol, sa langue maternelle, plutôt qu’en anglais.

PHOTO ERIC GAY, ASSOCIATED PRESS

Le pape François, entouré de chefs autochtones, a offert des excuses très attendues aux victimes des pensionnats pour Autochtones, lors d’une cérémonie à Maskwacis.

Ces excuses ont été faites sur le site où la communauté crie tient ses pow-wow. Les anciens élèves des pensionnats qui ont convergé depuis tout l’ouest du pays ont été accueillis dans une école primaire autochtone pendant que le pape se recueillait au cimetière local, avant que tout le monde se rende au parc Maskwa, érigé sur le site de l’ancien pensionnat pour Autochtones. La foule bruyante rassemblée au parc s’est soudainement faite silencieuse quand les images du pape au cimetière ont été retransmises, ont témoigné sur Twitter des journalistes sur place.

PHOTO VATICAN MEDIA, VIA REUTERS

Le pape François s’est recueilli devant une bannière portant les noms des enfants des pensionnats autochtones lors de sa visite à Maskwacis.

Le « pèlerinage pénitentiel » découle d’une visite de trois délégations autochtones au Vatican, fin mars. Les excuses alors proférées par le pape étaient moins fortes que celles de lundi. Le printemps dernier, il avait regretté vivement « la conduite déplorable de membres de l’Église catholique ». Lundi, il a parlé de l’oppression des Autochtones par « de nombreux membres de l’Église », précisant toutefois que c’était parfois par « indifférence » et qu’il y avait eu « de nombreux cas exemplaires de dévouement envers les enfants ». Il a déploré l’« erreur dévastatrice » et les « conséquences catastrophiques » des pensionnats, ne les attribuant toutefois pas à l’Église catholique. François a néanmoins évoqué sa « honte ».

D’autres réactions

Présidente du Conseil métis de l’Alberta, Audrey Poitras a estimé en conférence de presse, à Edmonton, que « la réconciliation ne [pouvait] survenir que si l’Église et le gouvernement du Canada [s’engageaient] à fournir des ressources pour la santé mentale, l’éducation et la nutrition, entre autres ». Elle a aussi réclamé le dévoilement des archives fédérales et religieuses et des sanctions pour « ceux qui ont commis ces atrocités contre nos enfants et nos communautés ».

PHOTO NATHAN DENETTE, LA PRESSE CANADIENNE

Le pape François s’est incliné la tête lors du service à l’église du Sacré-Cœur des Premières Nations d’Edmonton.

Ghislain Picard, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), a jugé que les excuses de lundi étaient en droite ligne avec celles de Rome au printemps. Il s’attend à ce que ces excuses soient répétées au Québec plus tard cette semaine.

Mais une participante à la conférence de presse de la Confédération du traité 6, Evelyn Korkmaz, ancienne élève crie des pensionnats pour Autochtones, voudrait autre chose que des excuses au Québec.

Je vais faire le voyage à Québec et je m’attends qu’on passe à une autre étape, qu’un plan soit présenté pour atteindre la réconciliation.

Evelyn Korkmaz, ancienne élève crie des pensionnats pour Autochtones

PHOTO VINCENZO PINTO, AGENCE FRANCE-PRESSE

En soirée, le pape a pris part à une cérémonie dans l’église du Sacré-Cœur des Premières Nations d’Edmonton.

« Pardonner, c’est un concept chrétien »

Le concept même de pardon a par ailleurs été remis en question par un politologue de l’Université de l’Alberta, Matthew Wildcat, qui est un Cri de Maskwacis. « Pardonner, c’est un concept chrétien, a dit M. Wildcat dans une téléconférence de presse vendredi dernier. Pour nous, la guérison n’implique pas nécessairement le pardon. On peut rester en colère et guérir quand même. »

En soirée, le pape a rencontré à l’église du Sacré-Cœur des Premières Nations, à Edmonton, d’autres Autochtones. Après une cérémonie du tambour et des chants religieux en cri, François a déclaré qu’il venait de voir les « actions concrètes » nécessaires pour un processus de « guérison ». Il s’est réjoui de voir ensemble des gens de diverses Premières Nations, des « non-Autochtones et des immigrants ». Il a aussi ajouté à ses excuses du matin, déplorant le « sentiment d’infériorité » transmis aux Autochtones par « certains catholiques » ayant participé au système des pensionnats. Il a terminé son allocution en comparant les tipis autochtones aux tentes où se réunissaient les Hébreux durant la traversée du désert avec Moïse.

PHOTO NATHAN DENETTE, LA PRESSE CANADIENNE

Des fidèles ont salué le pape François après sa visite à l’église du Sacré-Cœur des Premières Nations d’Edmonton.

Le pape est arrivé dimanche en Alberta. Il célébrera mardi matin une messe au stade du Commonwealth, dont les 65 000 billets avaient tous été distribués lundi matin, forçant l’ouverture de sites de retransmission dans des parcs voisins. Mardi soir, le pape se rendra au sanctuaire de Sainte-Anne au lac du même nom, à une heure à l’ouest d’Edmonton. Mercredi, il s’envole pour Québec, où il aura des rencontres protocolaires. Il fera ensuite une promenade en papemobile dans les plaines d’Abraham. Jeudi aura lieu une messe à Sainte-Anne-de-Beaupré, sanctuaire populaire auprès de nombreux Autochtones vouant un culte à la grand-mère de Jésus.

Dans l’avion papal qui l’amenait à Edmonton, le pape a d’ailleurs évoqué l’importance des grands-parents. Citant le poète argentin Francisco Luis Bernárdez, il a déclaré que « toutes les fleurs d’un arbre lui proviennent de ce qui est sous terre, c’est-à-dire les grands-parents ».

Les excuses en quelques extraits

De passage à Maskwacis, en Alberta, lundi, le pape François a offert des excuses très attendues aux victimes des pensionnats pour Autochtones, tout en insistant sur l’aspect « pénitentiel » de son périple au Canada. Voici des extraits de son discours.

Je me souviens des rencontres que j’ai eues à Rome il y a quatre mois. On m’avait remis deux paires de mocassins, signe de la souffrance endurée par les enfants autochtones, surtout par ceux qui, malheureusement, ne revinrent jamais des pensionnats à la maison. Il m’avait été demandé de rendre les mocassins une fois arrivé au Canada ; je le ferai à la fin de ce discours, pour lequel je voudrais justement m’inspirer de ce symbole qui a ravivé en moi la douleur, l’indignation et la honte durant ces derniers mois. Le souvenir de ces enfants suscite une douleur et incite à agir afin que chaque enfant soit traité avec amour, honneur et respect. Mais ces mocassins nous parlent aussi d’un cheminement, d’un parcours que nous désirons parcourir ensemble.

Le pape François

C’est pourquoi la première étape de mon pèlerinage parmi vous se déroule dans cette région qui voit, depuis des temps immémoriaux, la présence des peuples autochtones. C’est un territoire qui nous parle, qui nous permet de faire mémoire. Faire mémoire : frères et sœurs, vous avez vécu sur cette terre depuis des milliers d’années selon des modes de vie respectueux de la terre elle-même, héritée des générations passées et conservée pour les générations futures. Vous l’avez traitée comme un don du Créateur à partager avec les autres et à aimer en harmonie avec tout ce qui existe, dans une relation mutuelle de vie entre tous les êtres vivants.

Le pape François

[…] Il est juste de le rappeler, car l’oubli conduit à l’indifférence et, comme on l’a dit, le contraire de l’amour n’est pas la haine, c’est l’indifférence […], le contraire de la vie n’est pas la mort, mais l’indifférence à la vie ou à la mort. Nous souvenir des expériences dévastatrices qui se sont déroulées dans les pensionnats pour Autochtones, nous atteint, nous indigne et nous fait mal, mais cela est nécessaire. Il est nécessaire de rappeler à quel point les politiques d’assimilation et d’affranchissement, comprenant également le système des pensionnats, ont été dévastatrices pour les habitants de ces terres.

Le pape François

Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des pensionnats. Bien que la charité chrétienne ait été présente et qu’il y ait eu de nombreux cas exemplaires de dévouement envers les enfants, les conséquences générales des politiques liées aux pensionnats ont été catastrophiques. Ce que la foi chrétienne nous dit, c’est qu’il s’agissait d’une erreur dévastatrice, incompatible avec l’Évangile de Jésus-Christ.

Le pape François

Chers frères et sœurs, bon nombre d’entre vous et de vos représentants ont affirmé que les excuses ne sont pas un point final. Je suis entièrement d’accord : elles constituent seulement la première étape, le point de départ. J’ai moi aussi conscience que, considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant et que, considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas, mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées.

Le pape François