Le pape François arrive aujourd’hui au Canada pour cinq jours. Il demandera pardon aux anciens élèves des pensionnats pour Autochtones, à l’occasion de la fête de sainte Anne, vénérée dans plusieurs Premières Nations. Les attentes sont grandes, les écueils, nombreux.

Des excuses et des accrocs

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Mariette Cécile Awashish, d’Obedjiwan, participe à la neuvaine de la Sainte-Anne, à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

En avril, le pape François a présenté ses excuses à une délégation d’Autochtones canadiens pour les sévices subis dans les pensionnats pour Autochtones gérés par l’Église. Il a promis de venir les voir cet été.

L’itinéraire n’a été confirmé qu’à la fin juin, en raison de l’état de santé incertain du pape argentin. La planification accélérée n’a pas été sans heurt, mais des milliers d’Autochtones convergent ces jours-ci vers Québec, où le pape les rencontrera de mercredi à vendredi prochain. Une messe pour 15 000 personnes aura lieu à Sainte-Anne-de-Beaupré jeudi. Un pèlerinage à un sanctuaire dédié à sainte Anne est aussi prévu en Alberta mardi.

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Procession aux chandelles durant la neuvaine de la Sainte-Anne, à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, jeudi

« Sainte Anne, elle est très importante pour nous, parce que c’est la grand-mère de Jésus », explique une bénévole innue de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, Andrée Paul, rencontrée à la mi-juillet à Wendake où elle habite.

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Andrée Paul, bénévole innue de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

Voir le pape, l’entendre faire des excuses pour les pensionnats, c’est important pour les survivants et pour les blessures intergénérationnelles.

Andrée Paul, bénévole innue de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

La fête de sainte Anne, le 26 juillet, est l’occasion de dizaines de pèlerinages autochtones au Canada. Les Innus s’installent traditionnellement dès le 19 mai en camping à Sainte-Anne-de-Beaupré pour une « neuvaine » de processions vouées à la grand-mère de Jésus.

Une grande marche

Une marche de plusieurs communautés autochtones partira mercredi matin de Wendake et s’arrêtera sur les plaines d’Abraham. Il a fallu une semaine pour que les marcheurs, dont font partie des Innus partis le 21 juillet de Mashteuiatsh, site du pensionnat pour Autochtones de Pointe-Bleue, soient intégrés au programme des plaines d’Abraham, selon Ghislain Picard, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL).

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Campement adjacent au site de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

Le pape passera le mercredi après-midi en rencontres protocolaires et avec des survivants à la Citadelle, qui seront retransmises sur écran géant sur les plaines d’Abraham. Un trajet en papemobile sur les plaines d’Abraham, ainsi que des prestations commémoratives par des artistes autochtones, francophones et anglophones, sont aussi prévus sur les Plaines.

Rémy Vincent, grand chef de Wendake, a organisé la réception des marcheurs innus le mardi à Wendake et participera à la marche du mercredi jusqu’aux Plaines. « On n’a pas voulu être au premier plan parce qu’on a été moins touchés que d’autres communautés par les pensionnats », dit le grand chef Vincent.

Les marcheurs arriveront aux Plaines au kiosque Edwin Bélanger, où ils pourront boire et manger. Ensuite la marche reprendra avec des non-Autochtones jusqu’à la scène érigée sur les Plaines. « L’arrivée des marcheurs et la marche commune seront un moment fort de la visite papale », dit Jasmin Lemieux-Lefebvre, de l’équipe nationale de la visite papale, qui est délégué aux relations avec les groupes autochtones du Québec.

Trop festif

Après une controverse entourant les billets réservés aux survivants pour la messe du jeudi, des tensions ont compliqué l’organisation des évènements sur les Plaines. À quelques jours de l’arrivée du pape, la programmation définitive sur les Plaines n’est toujours pas publique, signe des tensions avec les Autochtones. « Au début, c’était presque planifié comme un party », dit le grand chef Vincent.

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Basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, non loin de Québec

Jeudi dernier encore, un communiqué commun de l’Assemblée des Premières Nations (APN) et de l’APNQL dénonçait l’« insensibilité des autorités catholiques ».

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Ghislain Picard, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

On a toujours dit qu’on aurait dû être impliqués dès le départ. Il n’y a pas un survivant qui veut participer aux activités sur les Plaines. Ils veulent être à la Basilique.

Ghislain Picard, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

Mandy Gull-Masty, de Waswanipi, qui est la déléguée de l’APN pour la portion québécoise de la visite papale, va plus loin : « Les survivants vont devoir partir en bus de Québec à 4 h du matin jeudi sans avoir rien à boire ou à manger. Et à la Basilique, ils vont être accueillis par des policiers. Quand on pense à ce qui s’est passé à Val-d’Or entre la police et les Autochtones, c’est traumatisant. »

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Mandy Gull-Masty, déléguée de l’APN pour la portion québécoise de la visite papale

Selon Mme Gull-Masty c’est l’Église québécoise, et non la GRC, qui est responsable de ces exigences élevées de sécurité.

Souvenirs de 1984

Ces tensions n’empêchent pas l’Église de Québec de se préparer avec fébrilité. C’est le cas de Marie Chrétien. Quand Jean-Paul II a visité Québec il y a 38 ans, elle travaillait pour le bureau pastoral de la visite papale. Aujourd’hui, elle travaille encore sur une visite papale.

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Visite du pape Jean-Paul II à Montréal, en 1984

« En 1984, on avait travaillé huit mois sur l’accueil de délégations des diocèses de tout l’est du Québec, par des paroisses, pour la messe papale de 300 000 personnes, dit Mme Chrétien. Il y avait eu des amitiés qui s’étaient nouées pour des années, il y avait eu des spectacles communs le samedi avant la messe. »

Cette fois, elle n’a eu que quelques semaines pour planifier la distribution de l’eucharistie à l’extérieur de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré. Les 15 000 hosties ont dû être commandées en Alberta parce qu’au Québec, les fabricants n’ont pas la taille nécessaire pour une telle commande. Détail intéressant, en 1984 on avait par erreur commandé en double les 300 000 hosties de la messe papale.

Une messe avec un accent autochtone

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Bannières de groupes innus devant l’autel d’une chapelle de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

Jeudi à Sainte-Anne-de-Beaupré, Solange et Élisabeth Vollant chanteront un cantique en innu, comme elles le font régulièrement dans le cadre de la neuvaine de la Sainte-Anne. Mais cette fois, elles chanteront en présence du pape.

« C’est un moment très important pour nous, dit Solange Vollant, qui est de Pessamit. Une autre de mes sœurs est une survivante des pensionnats. Ç’a été difficile pour elle. On nous a donné trois cantiques à répéter. »

La messe de jeudi sera une « liturgie de réconciliation », selon le responsable national des messes de la visite papale, le prêtre Christino Bouvette, d’Edmonton, qui est d’origine crie. « C’est une liturgie courante, conçue pour reconnaître les fautes et demander pardon », dit le père Bouvette.

  • Représentation de sainte Kateri Tekakwitha dans la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Représentation de sainte Kateri Tekakwitha dans la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

  • Représentation de sainte Kateri Tekakwitha dans la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

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    Représentation de sainte Kateri Tekakwitha dans la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

  • Représentation de sainte Kateri Tekakwitha dans la crypte de la basilique 
de Sainte-Anne-de-Beaupré

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    Représentation de sainte Kateri Tekakwitha dans la crypte de la basilique 
de Sainte-Anne-de-Beaupré

  • Statue représentant sainte Kateri Tekakwitha sur la façade de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

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    Statue représentant sainte Kateri Tekakwitha sur la façade de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré

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D’autres éléments autochtones seront incorporés dans la liturgie. « Il y aura les vêtements du pape et des servants de messe », dit le père Bouvette.

Y aura-t-il de la purification par la sauge brûlée et des tambours, comme cela se fait parfois dans les messes autochtones ? « À Edmonton, il y aura de la purification [smudging], mais pas durant la messe, dit le père Bouvette. Mais on aura des tambours à la messe. À Québec, ce n’est pas décidé. »

D’autres éléments à suivre

La chasuble du pape a été conçue par une autochtone nisga’a de Colombie-Britannique, Julia Kozak. « J’ai incorporé l’eucharistie et un symbole important pour mon peuple, les vagues créées par une pierre qui tombe dans l’eau », explique Mme Kozak. Le logo de la visite papale a quant à lui été fait par un Métis du Manitoba, Shaun Vincent. « J’ai inclus le caribou, le bison, le poisson et l’aigle pour symboliser la terre, l’eau et le ciel de la spiritualité autochtone, avec la colombe et les clefs de saint Pierre pour symboliser le pape », dit M. Vincent.

Un Huron de Wendake va lire une intention de prière durant la messe, mais les deux survivants de pensionnats pour Autochtones de Wendake n’ont pas voulu y être présents, selon le grand chef Vincent.

Le père Bouvette a fait suivre à La Presse les deux textes bibliques qui seront lus jeudi, ainsi que le psaume. Il s’agit du passage de la Genèse où Dieu chasse Adam et Ève du paradis parce qu’ils ont mangé la pomme à la suggestion du serpent, et d’un passage où Jésus rencontre deux « disciples d’Emmaüs » qui ne le reconnaissent pas. Le psaume, lui, est appelé De profundis, en raison de son premier verset, « Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur ». Il est souvent chanté dans les enterrements.

« Le choix de la Genèse est intéressant parce qu’Adam et Ève ont mangé le fruit de l’arbre de la connaissance », dit Philippe Vaillancourt, du site d’information religieuse Présence. « Ce que ça signifie, c’est que certains religieux des pensionnats autochtones pensaient savoir ce qui était bon pour les Autochtones, mais qu’ils se trompaient. »

Un autre élément à suivre durant la messe sera la présence ou non de femmes dans le chœur de l’église. « Au Québec c’est courant, mais ailleurs dans le monde, il n’y a pas de femmes dans le chœur, dit M. Vaillancourt. Si on exclut les femmes du chœur à Sainte-Anne-de-Beaupré, ça va créer du mécontentement. »

L’horaire du pape

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La sacristie de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, où le pape va se préparer avant la messe du 28 juillet

24 juillet

Arrivée du pape à 11 h 20 à Edmonton et accueil par une délégation locale

25 juillet

Matin : Le pape rencontre des survivants des pensionnats de l’Ouest dans un ancien pensionnat autochtone à Maskwacis, à une heure au sud d’Edmonton, qui a été démoli dans les années 1990. La communauté de Maskwacis a par ailleurs appris, sur la page Facebook Maverick News, qu’une manifestation du « Convoi de la liberté » aurait lieu lors de la visite du pape pour protester contre ses excuses. La communauté autochtone a dénoncé ce projet par voie de communiqué.

Après-midi : Le pape rencontre des survivants dans une église catholique autochtone d’Edmonton.

26 juillet

Matin : Messe papale pour 65 000 personnes au stade Commonwealth d’Edmonton

Soirée : Pèlerinage du pape au lac Sainte-Anne, un lieu de dévotion autochtone à une heure à l’ouest d’Edmonton

27 juillet

Midi : Le pape est accueilli à Québec par une délégation protocolaire des gouvernements du Canada et du Québec, ainsi que par deux survivants des pensionnats pour Autochtones québécois.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mary Simon, gouverneure générale du Canada

Après-midi : Le pape rencontre des ministres fédéraux et la gouverneure générale, Mary Simon, ainsi que des survivants des pensionnats de l’Est. Les rencontres et discours sont retransmis sur écran géant sur les plaines d’Abraham, où ont lieu des activités commémoratives en anglais, en français et en langues autochtones. Il est possible que le pape se rende sur les Plaines en papemobile.

28 juillet

Matin : Messe papale à Sainte-Anne-de-Beaupré, avec 2000 personnes à l’intérieur et 15 000 personnes suivant l’évènement sur écran géant à l’extérieur

Soir : Messe privée du pape à la cathédrale de Québec

29 juillet

Matin : Rencontres du pape avec des collègues jésuites puis avec des leaders autochtones

Après-midi : Arrivée du pape à Iqaluit, rencontre avec des survivants des pensionnats autochtones de l’Arctique, puis avec la population locale