La désinformation venant des États-Unis pourrait avoir une incidence au Canada, selon une analyse

(Ottawa) La désinformation qui pullule aux États-Unis et se fraye un chemin jusqu’au Canada via les médias sociaux risque de fragiliser les institutions publiques au pays à long terme, soutient-on dans un document confidentiel sur l’état de santé des institutions démocratiques remis au ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, en octobre dernier.

La confiance des Canadiens envers leurs institutions publiques demeure élevée, malgré une érosion de la satisfaction à l’égard de la démocratie relevée dans plusieurs régions du monde, en particulier chez nos voisins du sud.

Des évènements historiques marquants, notamment la crise financière de 2008, les menaces liées aux changements climatiques ainsi que la pandémie de COVID-19, ont mis à rude épreuve la capacité des gouvernements démocratiquement élus à gagner la confiance du public et à renforcer la confiance dans les institutions démocratiques, énumère-t-on dans le document.

L’utilisation à grande échelle des médias sociaux par des dirigeants populistes comme Donald Trump aux États-Unis a accéléré ce phénomène inquiétant, souligne-t-on aussi.

« L’instabilité et la violence observée après les élections présidentielles américaines de 2020 montrent bien qu’un recul des acquis est même possible dans des démocraties de longue date. Ce qui s’est passé aux États-Unis doit servir de mise en garde », soutient-on dans ce document de 87 pages obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

« Vu l’importance des États-Unis et l’influence qu’ils exercent à l’échelle mondiale, leurs difficultés au chapitre des normes de gouvernance démocratique et de la confiance peuvent avoir un effet particulièrement dommageable sur la démocratie dans le reste du monde », ajoute-t-on.

Un avant-goût…

En janvier, quelques mois après la rédaction du document remis au ministre Dominic LeBlanc, le Canada a eu un avant-goût des conséquences de la désinformation lorsqu’un convoi de camionneurs a mis le cap sur Ottawa. Des groupes complotistes se sont greffés à ce « Convoi de la liberté » qui exigeait la fin des mesures sanitaires et la démission du gouvernement Trudeau. Les manifestants ont bruyamment paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines, causant la fermeture des commerces et perturbant la vie des résidants. Le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à l’occupation.

Si le Canada s’est mieux tiré d’affaire jusqu’ici, selon le document, c’est parce qu’il se caractérise par un système politique qui mise sur le multipartisme, un système électoral indépendant, un degré de clivage social moindre, un niveau de confiance dans le processus électoral qui demeure élevé, la liberté de la presse et la confiance dans les médias.

« Ces piliers institutionnels jouent un rôle majeur en limitant les tentatives de déstabilisation de la démocratie canadienne que l’on observe aux États-Unis et ailleurs », avance-t-on.

Mais cela ne veut pas dire que l’on peut rester les bras croisés, notamment devant les campagnes de désinformation qui se multiplient.

L’utilisation des médias sociaux par des acteurs malveillants (qui dans certains cas cherchent à miner la confiance dans les systèmes démocratiques clés en remettant par exemple en question la validité du vote par la poste) est manifeste dans les deux pays.

Extrait du document sur l’état de santé des institutions démocratiques

« Alors que l’écosystème médiatique du Canada est étroitement lié à celui des États-Unis, les Canadiens sont eux aussi exposés aux tentatives de désinformation qui ciblent le public américain. Or, cela peut poser problème lorsque des idées fausses qui sont diffusées depuis les États-Unis pour miner l’intégrité démocratique se rendent jusqu’au public canadien. De façon plus générale, les idées politiques circulent depuis déjà longtemps des États-Unis jusqu’au Canada. Plusieurs des groupes associés à la désinformation distillée depuis les États-Unis trouvent un écho – et parfois même un point d’ancrage – au Canada. »

« Urgence d’agir »

Professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jean-Hugues Roy s’est penché sur le phénomène de la désinformation au cours des dernières années. Il estime que le Canada s’en tire mieux jusqu’ici que les États-Unis parce que les leaders politiques se sont abstenus jusqu’ici de relayer les fausses informations comme le faisait abondamment Donald Trump, par exemple.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM

« Les Canadiens sont exposés aux mêmes réseaux sociaux. Comment expliquer que la désinformation ne soit pas aussi importante qu’aux États-Unis ? Deux choses l’expliquent. D’abord, il n’y a pas un grand média comme Fox News qui a basculé pour plaire à une certaine partie de son public. Ensuite, il y a très peu de politiciens qui adhèrent à ces théories et il n’y a pas un chef d’un parti majeur qui en fait la promotion, bien que Pierre Poilievre me fasse un peu peur », a-t-il analysé.

Le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, est l’un des ministres chargés par le premier ministre Justin Trudeau de mener la lutte contre la désinformation. En entrevue, il a affirmé qu’il était urgent d’agir pour contrer les effets néfastes de la désinformation sur la démocratie. Récemment, il a lancé un appel de propositions totalisant 2,5 millions de dollars pour financer des activités qui aideront les gens à déceler la mésinformation et la désinformation en ligne.

« Il est urgent d’agir. Les Canadiens et Canadiennes ne toléreront pas la désinformation et la propagande. La démocratie ne s’est pas bâtie par accident. Il faut se battre pour elle », a-t-il affirmé.

En savoir plus
  • 7 millions
    Depuis 2019, le gouvernement fédéral a investi 7 millions de dollars dans plus de 20 projets qui favorisent la réflexion critique sur la désinformation en ligne et la participation au processus démocratique. Ces projets ont touché plus de 12 millions de personnes.
    Source : MINISTÈRE DU PATRIMOINE CANADIEN