(Ottawa ) Six premiers ministres reprochent au gouvernement de Justin Trudeau d’accélérer l’« ingérence continue » d’Ottawa dans les champs de compétence des provinces en voulant mettre en œuvre, sans les consulter, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

Dans une lettre qu’ils ont fait parvenir à leur homologue fédéral, ce printemps, les premiers ministres François Legault (Québec), Doug Ford (Ontario), Jason Kenney (Alberta), Scott Moe (Saskatchewan), Brian Pallister (Manitoba) et Blaine Higgs (Nouveau-Brunswick) réclament des changements au projet de loi C-15, qui vise à mettre en œuvre les principes de la DNUDPA.

La principale récrimination des premiers ministres touche l’effet qu’aura selon eux le projet de loi sur le pouvoir exclusif des provinces d’exploiter les ressources naturelles. Essentiellement, ils craignent que son adoption accorde un droit de veto aux communautés autochtones à cet égard – une crainte qu’a aussi soulevée le Parti conservateur d’Erin O’Toole à la Chambre des communes.

La Presse a obtenu cette lettre datée du 29 mars.

« Bien que nous souhaitions travailler en tant que partenaires égaux avec le gouvernement du Canada dans l’intérêt des Canadiens, nous estimons que le gouvernement fédéral n’a pas correctement répondu à nos préoccupations ni n’a sollicité de manière appropriée notre contribution ou celle des communautés et organisations autochtones, en ce qui a trait à ce document législatif », écrivent les six premiers ministres dans leur missive à Justin Trudeau.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les premiers ministres Jason Kenney (Alberta), Doug Ford (Ontario), François Legault (Québec) et Brian Pallister (Manitoba) lors d'une conférence de presse en septembre dernier

Dévoilé en décembre dernier par le ministre de la Justice, David Lametti, le projet de loi C-15 a été adopté par la Chambre des communes le 25 mai. Il est actuellement à l’étude au Sénat et il fait partie des projets de loi prioritaires que souhaite adopter le gouvernement Trudeau avant la fin de la session parlementaire, prévue le 23 juin, et évidemment avant les prochaines élections fédérales, qui pourraient avoir lieu en septembre.

L’adoption de la DNUDPA fait partie des recommandations contenues dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, publié en 2015.

Dans leur lettre, François Legault et ses cinq homologues provinciaux affirment avoir pris des mesures « positives » pour faire avancer « la réconciliation » et « la prospérité » avec les peuples autochtones. Mais ils critiquent l’absence de consultation du gouvernement Trudeau quant aux répercussions de la mise en œuvre de la DNUDPA.

À ce jour, votre démarche relativement à l’adoption du projet de loi C-15 est contraire aux principes du fédéralisme coopératif qui exigent une collaboration pertinente et substantielle avec les provinces.

Extrait de la lettre envoyée à Justin Trudeau par six premiers ministres provinciaux

« La collaboration à l’égard de ce projet de loi a été insuffisante et ne tient pas compte des préoccupations des provinces. Bien que nous soutenions bon nombre des principes sous-jacents de la Déclaration des Nations Unies […], le projet de loi C-15, tel qu’il est rédigé, pose un problème et aura des conséquences importantes et d’une portée considérable, tant pour le gouvernement fédéral que pour les provinces et, potentiellement, pour les populations autochtones. Ce sujet nécessite un dialogue significatif pour l’éclaircissement des dispositions clés. Malheureusement, ce dialogue n’a pas encore eu lieu. »

Éviter des litiges

Les six premiers ministres jugent notamment inquiétante l’ambiguïté dans la DNUDPA et le projet de loi C-15 concernant le partage potentiel des recettes provenant de l’exploitation des ressources naturelles.

Ils redoutent les retombées juridiques de la clause de la Déclaration des Nations Unies portant sur le droit des peuples autochtones de s’administrer eux-mêmes sur les pouvoirs des provinces.

En outre, ils souhaitent avoir des précisions au sujet d’autres clauses touchant le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » qui devrait être obtenu avant que des projets de développement de ressources naturelles aillent de l’avant. Selon les premiers ministres, cela risque « de perturber la jurisprudence établie et de créer des attentes, notamment que ce consentement préalable […] constitue un droit de veto ».

Les premiers ministres terminent leur lettre en affirmant que des précisions sont essentielles sur les questions qu’ils soulèvent afin de « limiter au maximum les risques de litiges futurs ».

« Elles permettraient non seulement d’éviter des litiges inutiles, mais aussi d’assurer une plus grande certitude réglementaire et économique, indispensable à une progression significative de la réconciliation avec les peuples autochtones. »

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David Lametti, ministre de la Justice

Le gouvernement Trudeau a accepté des amendements mineurs qui n’ont pas eu pour effet de modifier la portée du projet de loi C-15.

Témoignant devant le comité permanent des peuples autochtones du Sénat, récemment, le ministre de la Justice a affirmé que la décision du gouvernement fédéral d’inscrire la Déclaration des Nations Unies dans un projet de loi visait à lui donner plus de poids juridique.

« En intégrant la déclaration dans une loi de mise en œuvre particulière, nous avons renforcé son rôle interprétatif et lui avons donné plus de poids en tant que document. La déclaration elle-même et les droits contenus dans le préambule ont une fonction d’interprétation dans le droit canadien », a affirmé M. Lametti.

Les sénateurs pourraient toutefois proposer des amendements à C-15 quand ils en poursuivront l’étude en troisième lecture.