(Ottawa) Six ans après la publication du rapport de l’ancienne juge de la Cour suprême Marie Deschamps sur l’inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes (FAC), le gouvernement confie à une autre ex-magistrate du même tribunal, Louise Arbour, le mandat de se pencher sur le fléau.

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a annoncé jeudi que le gouvernement avait confié à l’ex-juge Louise Arbour le mandat de réaliser un examen indépendant sur la façon dont l’armée gère les plaintes d’inconduites sexuelles.

S’adressant directement aux membres des FAC qui ont été victimes d’actes répréhensibles, l’ancien militaire s’est dit désolé pour « ceux qui ont l’impression que nous n’avons pas été là pour eux » et a soutenu être « conscient que le système actuel de plainte ne répond pas à leurs besoins ».

C’est la raison pour laquelle l’ancienne juge du plus haut tribunal au pays devra se pencher, pour un mandat d’une durée d’environ un an, sur la possibilité de mettre sur pied un « système de signalement externe pour rétablir la confiance », a indiqué le ministre Sajjan.

Une autre ex-juge de la Cour suprême, Marie Deschamps, avait mené un examen sur l’inconduite sexuelle.

Son rapport paru en 2015 concluait à l’existence d’une « culture sous-jacente de la sexualisation […] hostile aux femmes et aux LGTBQ propice aux incidents graves que sont le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle ».

Mais surtout, on y formulait la recommandation suivante : il est impératif de « créer un centre indépendant de responsabilisation en matière de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle à l’extérieur des FAC » si l’on souhaite enrayer ce fléau.

Devant un comité parlementaire, Marie Deschamps a récemment déploré le peu de progrès réalisé depuis.

Invité à expliquer pour quelle raison la recommandation-clé n’a pas été suivie et qu’elle se retrouve au cœur d’un nouvel examen en vertu de l’annonce de jeudi, le ministre Sajjan a argué qu’il fallait s’assurer d’avoir les structures et les mécanismes adéquats.

L’armée a été ébranlée par des allégations d’inconduite visant le sommet de la pyramide hiérarchique. Deux chefs d’état-major – l’ancien, Jonathan Vance, et celui qui lui avait succédé, Art McDonald – en ont fait l’objet.

Celui qui occupe le poste par intérim, le lieutenant-général Wayne Eyre, a déclaré en conférence de presse qu’il confiait au lieutenant-général Jennie Carignan la responsabilité de diriger une nouvelle organisation interne à titre de chef-Conduite professionnelle et culture.

« Ce groupe unifiera, intégrera et coordonnera toutes les politiques, tous les programmes et toutes les activités connexes qui traitent actuellement de l’inconduite systémique et appuient le changement de culture au sein de la Défense nationale », selon un communiqué gouvernemental.

« Manœuvre de diversion lâche »

Le gouvernement Trudeau se fait bombarder de questions de l’opposition conservatrice depuis des semaines sur cet enjeu.

Les conservateurs cherchent à déterminer, tant en Chambre que dans les comités, ce que le premier ministre et son entourage savaient des allégations visant Jonathan Vance. L’annonce faite jeudi a ainsi été accueillie comme une tentative de se défiler.

« C’est tout simplement une forme de diversion. La question principale demeure, est-ce que Justin Trudeau savait qu’il y avait une plainte contre son chef d’état-major ? Le processus des plaintes n’a rien à voir avec cette question », a écrit sur Twitter le député Pierre Paul-Hus.

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, abonde dans le même sens. « L’annonce d’aujourd’hui, c’est l’échec du gouvernement Trudeau à réformer cette culture malsaine au sein de nos forces armées », a-t-il pesté dans un courriel envoyé à La Presse.

« C’est une manœuvre de diversion lâche pour se sortir de l’eau chaude. Les libéraux perpétuent ainsi cette culture de boys club dégoûtante au détriment des victimes qui entendent toujours des actions concrètes », a conclu le député néo-démocrate.

Au Bloc québécois, l’élue Andréanne Larouche a d’abord tenu à souligner « la réputation exceptionnelle » de Louise Arbour. « On accueille quand même favorablement sa nomination ; elle va probablement permettre de bonifier » les trouvailles de Marie Deschamps, a-t-elle offert en entrevue.

Il y a un mais.

« Ça n’excuse pas l’inaction des libéraux […] On a l’impression qu’ils se réveillent en raison de la pression qui est exercée pour eux », a-t-elle suggéré.