(Ottawa) La Cour d’appel fédérale maintient l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Dans une décision publiée jeudi matin, le tribunal a accueilli l’appel du gouvernement fédéral et annulé le jugement de la Cour fédérale qui avait conclu que l’entente est inconstitutionnelle.

En vertu de cette entente, entrée en vigueur en 2004, le Canada et les États-Unis se reconnaissent mutuellement comme des pays sûrs où les réfugiés peuvent trouver protection. Cela signifie dans les faits que le Canada peut refouler un demandeur du statut de réfugié qui arrive à un point d’entrée terrestre officiel de la frontière canado-américaine, puisqu’il doit faire cette demande aux États-Unis, où il était d’abord arrivé.

C’est cette entente qui avait inspiré les demandeurs d’asile à emprunter le chemin Roxham parce que celui-ci n’était pas un point d’entrée officiel.

Les groupes de défense des réfugiés s’étaient insurgés contre l’entente alors que l’administration de Donald Trump se montrait particulièrement hostile aux demandeurs d’asile. Ces groupes se sont donc tournés vers les tribunaux en 2017.

La situation sur le terrain s’est transformée lorsque la pandémie de COVID-19 a été déclarée, en mars 2020. La frontière terrestre canado-américaine a été fermée partout, sauf aux travailleurs essentiels. Cette fermeture a également bloqué le chemin Roxham.

Dans une décision rendue en juillet, la Cour fédérale avait invalidé l’Entente sur les tiers pays sûrs, pour des motifs de droits individuels, mais le tribunal avait accordé au gouvernement un sursis de six mois, jusqu’à la mi-janvier.

La Cour fédérale d’appel avait ensuite prolongé ce délai jusqu’à ce qu’elle rende jugement. Ce qu’elle a fait jeudi matin.

Parmi les groupes qui ont attaqué l’entente, on retrouve le Conseil canadien pour les réfugiés et Amnistie internationale. Les demandeurs arguaient que cette entente contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte.

C’est le juge David Stratas qui écrit les motifs du jugement unanime de la Cour d’appel fédérale. Il reproche aux demandeurs de s’en être pris à des dispositions de l’entente, faisant fi des actes administratifs qui en découlent. Il estime que la preuve est ainsi « incomplète ».

« Les demandeurs ont érigé des moulins à vent et s’attendent à ce que nous nous prononcions sur leur constitutionnalité », lance-t-il.

« Le dossier de preuve est trop incomplet pour nous permettre de trancher de manière éclairée, à la lumière de la Charte, les questions qui importent véritablement », de l’avis du juge.

Pour juger l’effet de l’entente sur les demandeurs d’asile renvoyés aux États-Unis, le tribunal estime qu’on ne peut se limiter à « l’anecdote », qu’il faut vérifier de quelle manière le gouvernement canadien a examiné la situation, régulièrement, pour maintenir la désignation de pays sûr pour les États-Unis.

Or, rien de la sorte n’a été offert en preuve.

« Les effets néfastes, s’il en est, soufferts par les personnes qui sont renvoyées aux États-Unis ne peuvent être imputés au régime légal dans son ensemble. Ils seraient plutôt imputables aux examens prévus […] et aux actes administratifs connexes. Or, comme les demandeurs n’ont pas formé de recours contre un acte administratif, nous n’avons pas la possibilité d’évaluer pareille prétention, ni le dossier de preuve pour ce faire », peut-on également lire dans la décision du tribunal.

L’anecdote, fait valoir le juge, « ne nous permet guère de tirer des inférences générales sur la situation aux États-Unis ».

En réponse à la Cour fédérale qui avait estimé que le traitement des personnes renvoyées aux États-Unis « choque la conscience », le tribunal supérieur estime que « le dossier comporte des éléments relatant des traitements inférieurs aux normes, mais rien qui’’choque la conscience’’ ».

Réactions

« On a une impression de déjà vu », souligne Janet Dench du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR).

Mme Dench rappelle que ce même tribunal avait, en 2008, infirmé une autre décision de la Cour fédérale sur l’Entente des tiers pays sûrs, et ce, pour des raisons semblables.

Trop tôt pour décider si un appel à la Cour suprême du Canada sera tenté. « On va certainement revoir nos options », se limite à dire Mme Dench, en entrevue téléphonique.

Puis, elle donne d’autres pistes de combat.

« Les femmes qui fuient la violence fondée sur le sexe, le genre, sont discriminées dans ce système parce que les États-Unis ne protègent pas adéquatement les femmes si elles fuient une violence fondée sur le genre », fait-elle valoir.

« Idéalement », le gouvernement actuel « qui se dit féministe » créerait des exemptions à l’entente pour ces femmes et ne les renverraient pas aux États-Unis. Sinon, le CCR contemplerait un autre retour devant les tribunaux.

En réaction à la décision publiée jeudi, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marco Mendicino, et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Bill Blair, ont déclaré que l’Entente sur les tiers pays sûrs « sert bien le Canada depuis 16 ans, assurant ainsi une bonne gestion de notre frontière commune ».

« Au cours des trois dernières années, le Canada a accueilli plus de réfugiés que tout autre pays dans le monde, et il continue d’offrir sa protection aux personnes qui fuient les conflits et les persécutions. Le Canada demeure fermement déterminé à maintenir un système de protection des réfugiés juste et compatissant, et l’ETPS demeure un moyen global pour le traitement compatissant, équitable et ordonné des demandes d’asile à la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis », ont-ils affirmé par communiqué.