(Ottawa) L’officier de la Marine qui avait relayé une plainte d’inconduite contre le chef d’état-major de la Défense Art McDonald a déclaré vendredi que le processus de signalement dans l’armée est déroutant, « décourageant et décevant ».

« J’aurais aimé qu’il y ait plus de directives pour moi : il existe de nombreuses politiques, mais je ne sais pas si l’Opération Honneur a encore été largement acceptée au sein des Forces armées canadiennes », a admis le capitaine de corvette Raymond Trotter devant le Comité de la défense des Communes. L’Opération Honneur visait à éradiquer les inconduites sexuelles au sein de l’armée canadienne.

M. Trotter a été appelé à témoigner à la suite d’un reportage de Global News selon lequel il aurait reçu deux menaces anonymes après avoir fait part d’une allégation d’inconduite visant l’amiral McDonald, le mois dernier. L’amiral s’est temporairement retiré de ses fonctions de chef d’état-major, après six semaines en poste, pendant que la police militaire enquête sur l’allégation, qui n’a pas été détaillée publiquement.

Les conservateurs ont accusé le gouvernement libéral d’être derrière ces menaces présumées, une accusation que le cabinet du ministre de la Défense a fermement rejetée.

M. Trotter a décrit vendredi des échanges de ping-pong entre le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, des Forces armées, et ce qu’il croyait être des membres du cabinet du ministre de la Défense — bien qu’il ait peut-être parlé finalement avec des fonctionnaires du ministère.

Il a raconté que tout ce monde s’est renvoyé la balle pour le dépôt de la plainte, avec une confusion apparente quant à savoir si le Centre d’intervention était l’endroit désigné pour signaler une faute ou plutôt une ressource plus large pour aider les victimes.

Le 5 février, M. Trotter s’est finalement rendu au Service national des enquêtes des Forces canadiennes, une procédure qu’il avait initialement cherché à éviter parce que ce service relève de l’état-major — et ultimement du chef d’état-major, ouvrant la porte à un potentiel conflit d’intérêts. L’amiral McDonald s’est retiré 20 jours plus tard.

M. Trotter a raconté aux membres du comité qu’il avait eu des expériences bien pires liées à une autre plainte de harcèlement sexuel. « En fait, j’ai été réprimandé de manière très humiliante pour avoir donné suite à mes rapports. Je crois que j’ai été traité de cette façon parce que la plainte concernait également un autre officier supérieur, a-t-il déclaré. Dans cet environnement, je peux très bien comprendre pourquoi tant de victimes d’inconduite sexuelle seraient réticentes à se manifester. »

« La confiance avait été brisée », selon le ministre Sajjan

Plus tôt vendredi, le ministre de la Défense nationale a admis que « la confiance avait été brisée » au sein de l’armée à la suite des allégations d’inconduite visant ses plus hauts dirigeants. Harjit Sajjan a assuré que les Forces armées créeront un mécanisme indépendant pour accueillir les plaintes d’inconduite et que « toutes les options sont sur la table » quant à la structure de ce processus.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Défense nationale Harjit Sajjan

Lors d’une réunion de l’Institut de la Conférence des associations de la défense, qui se tenait virtuellement à Ottawa, le ministre Sajjan a déclaré que le travail de rétablissement de la confiance et du moral, en déroute suite à des allégations « profondément troublantes », exige des enquêtes équitables et « un soutien à ceux qui ont été blessés ».

Le comité des Communes a également entendu le ministre Sajjan en après-midi, pour une deuxième fois, à propos du traitement, en mars 2018, d’une allégation d’inconduite sexuelle visant le chef d’état-major de la défense de l’époque, le général Jonathan Vance.

M. Sajjan a affirmé que l’essentiel de sa rencontre du 1er mars 2018 avec l’ombudsman militaire de l’époque, Gary Walbourne, avait porté sur une tout autre affaire, soit une enquête à propos d’une plainte déposée contre le bureau de l’ombudsman lui-même. La semaine dernière, M. Walbourne a maintenu que cette plainte était infondée et avait été instrumentalisée pour exercer de la pression sur son équipe et lui.

Devant le comité, vendredi, M. Sajjan a fait valoir qu’il aurait été « dangereux » qu’un élu s’implique dans l’enquête et la politise, ce qui en aurait compromis l’issue, selon lui.

De hauts fonctionnaires ont effectué un suivi, a-t-il ajouté, mais ils n’ont obtenu aucune information leur permettant d’aller plus loin.

Son témoignage a fait écho à l’insistance de Justin Trudeau sur le fait que son gouvernement a agi correctement en renvoyant l’affaire au Bureau du Conseil privé, qui appuie le cabinet du premier ministre.

M. Trudeau a affirmé que Bureau du Conseil privé n’a rien pu faire de plus parce que M. Walbourne aurait refusé de fournir des informations sur l’allégation.

M. Trudeau a également déclaré que son gouvernement ne connaissait pas les détails de l’allégation avant la diffusion du reportage de Global le mois dernier.

Selon Global, le général Vance aurait entretenu une liaison continue avec une subalterne, qui a commencé il y a plus de dix ans et s’est poursuivie même après qu’il est devenu chef d’état-major en 2015. Global a également rapporté que M. Vance aurait envoyé un courriel obscène à une militaire beaucoup plus jeune que lui en 2012, avant de devenir chef d’état-major.

M. Vance a refusé de répondre aux demandes répétées de commentaires de La Presse Canadienne, et les allégations n’ont pas été vérifiées de manière indépendante. Global a toutefois signalé que M. Vance nie tout acte répréhensible.

La semaine dernière, le chef conservateur, Erin O’Toole, s’est engagé, s’il accède au pouvoir, à mettre sur pied un organe indépendant pour examiner les plaintes en dehors de l’état-major. Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a pour sa part avancé que l’ombudsman militaire devrait relever directement du Parlement.