(Ottawa) L’armée canadienne est sous le choc, jeudi, après avoir appris que le chef d’état-major de la défense, l’amiral Art McDonald, fait l’objet d’une enquête pour « inconduite », quelques semaines seulement après que la police militaire eut ouvert une enquête sur des allégations contre son prédécesseur.

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a révélé en fin de soirée mercredi que l’amiral McDonald s’était « volontairement retiré de ses fonctions » pendant que la police militaire enquête sur des allégations non précisées.

M. McDonald a succédé le mois dernier au général Jonathan Vance, qui fait l’objet d’une enquête après des allégations de comportement inapproprié. M. Vance a nié tout acte répréhensible et M. McDonald n’a pas commenté.

Le commandant de l’armée de terre, le lieutenant-général Wayne Eyre, a été nommé par intérim chef d’état-major de la Défense.

Le porte-parole conservateur en matière de défense, James Bezan, a appelé jeudi le gouvernement à révéler la nature des allégations qui visent l’amiral McDonald.

Le nouveau chef d’état-major avait profité de son premier discours, le 14 janvier, pour présenter des excuses aux victimes d’inconduite sexuelle et de gestes haineux dans l’armée.

« Dans l’intérêt du moral (des troupes) et pour que nos femmes et nos hommes en uniforme aient confiance dans le haut commandement des Forces armées canadiennes, le ministre Sajjan doit confirmer pourquoi le chef d’état-major de la Défense, l’amiral Art McDonald, fait l’objet d’une enquête », a déclaré M. Bezan dans un communiqué.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a estimé jeudi que le gouvernement, devrait s’assurer que les gens qui s’engagent dans les Forces armées canadiennes « aient la sécurité et l’encadrement que ça commande ».

« Il y a la nécessité d’envoyer un message que rien en bas de l’exemplarité ne saurait être toléré. Et, malheureusement, la crise de leadership s’appuie sur un exemple qui vient de haut », a soutenu M. Blanchet.

Un « autocontrôle » contesté

Les nouvelles allégations surviennent alors que plusieurs réclament un contrôle externe de l’armée, qui gère elle-même les allégations d’inconduite sexuelle dans ses rangs.

L’avocat et colonel à la retraite Michel Drapeau estime que le gouvernement devait nommer un inspecteur général permanent et indépendant, comme cela se fait ailleurs dans le monde, pour enquêter sur les allégations d’actes répréhensibles au sein de l’armée.

« Si, au cours de son enquête, il trouvait des preuves de nature criminelle, il aurait le devoir d’arrêter son enquête et de porter l’affaire devant la police criminelle », a expliqué M. Drapeau dans un courriel.

À défaut, le ministre Sajjan devrait immédiatement convoquer une commission d’enquête, peut-être dirigée par un juge militaire, pour examiner les allégations contre M. McDonald, croit M. Drapeau. La police n’interviendrait que si les allégations sont de nature criminelle — et ce devrait être la Gendarmerie royale du Canada, croit-il.

« Je ne fais pas confiance au Service national des enquêtes (SNE) des Forces canadiennes, en matière de formation, d’expérience et d’indépendance, a déclaré M. Drapeau. De plus, [la police militaire] et le SNE relèvent du vice-chef d’état-major de la défense, ce qui rend illusoire toute notion d’indépendance. »

En plus des infractions criminelles, les militaires canadiens peuvent également être accusés de ce qu’on appelle des « infractions d’ordre militaire », qui sont généralement liées à une conduite inappropriée, comme l’ivresse ou une relation avec un subordonné.

L’ancienne réserviste de la Marine Marie-Claude Gagnon, qui a fondé un groupe de survivantes d’inconduite sexuelle au sein de l’armée, s’inquiète depuis des années des lacunes de ce système où l’armée se contrôle elle-même. « Une surveillance externe, c’est essentiel, a déclaré Mme Gagnon. L’auto-contrôle en lui-même n’a jamais fonctionné […] Ce n’est pas la recette du succès. J’espère qu’il ne fait aucun doute qu’il doit y avoir une surveillance externe. »