(Winnipeg) La GRC au Manitoba a indiqué mardi qu’elle avait mené pendant plusieurs années une vaste enquête criminelle sur des allégations d’agressions sexuelles dans un pensionnat pour Autochtones réputé pour ses mauvais traitements.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a révélé mardi que des policiers du Groupe des crimes majeurs avaient commencé à enquêter en 2010 sur le pensionnat pour Autochtones de Fort Alexander, au nord-est de Winnipeg, et qu’une enquête criminelle avait été ouverte l’année suivante.

La GRC a fourni peu de détails sur les allégations, mais a précisé que les enquêteurs avaient examiné les dossiers archivés du pensionnat fédéral, y compris les listes d’élèves et d’employés, et interrogé plus de 700 personnes en Amérique du Nord. La GRC soutient qu’elle a recueilli 75 déclarations de témoins et de victimes, et qu’elle attend maintenant les avis des procureurs de la Couronne au Manitoba concernant d’éventuelles accusations criminelles.

Aucune accusation n’a été portée jusqu’ici dans ce dossier. La GRC affirme qu’il s’agit de la seule enquête en cours sur les pensionnats au Manitoba.

Jusqu’en 1970

Le pensionnat avait ouvert ses portes en 1905 à Fort Alexander, devenu plus tard la communauté de la première nation anichinabée de Sagkeeng. Le pensionnat fédéral a fonctionné pendant 66 ans, jusqu’en 1970. C’est l’Église catholique qui gérait l’école, à l’origine par l’intermédiaire des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Les enfants de plus d’une vingtaine de communautés autochtones fréquentaient ce pensionnat environ 10 mois par année.

Un représentant des Oblats, Ken Thorson, a déclaré que le groupe n’avait pas été contacté par la police au sujet de l’enquête. Il a indiqué qu’il coopérerait pleinement si cela devait changer.

Les Oblats ont administré 48 pensionnats au Canada, y compris celui de Marieval, dans la communauté autochtone de Cowessess, en Saskatchewan, et celui de Kamloops, en Colombie-Britannique. Des tombes non marquées ont été localisées sur les deux sites cet été. La première nation de Sagkeeng a récemment amorcé de telles recherches près du pensionnat de Fort Alexander à l’aide d’un radar à pénétration de sol et de drones. Il y a eu 17 pensionnats et 114 écoles de jour pour Autochtones au Manitoba.

Le chef de la communauté de Sagkeeng, Derrick Henderson, a déclaré mardi qu’il était conseiller lorsque l’enquête de la GRC a commencé, mais qu’il n’en avait été informé que la semaine dernière. M. Henderson a indiqué qu’il ne voulait pas traumatiser à nouveau la communauté et attendait de voir quelles mesures judiciaires pourraient être prises avant de parler davantage des allégations.

« Nous demandons que le traumatisme que notre communauté a vécu et continue de vivre chaque jour soit respecté et que les personnes touchées bénéficient de leur vie privée en ce moment », a déclaré le chef Henderson.

Arlen Dumas, grand chef de l’Assemblée des chefs du Manitoba, a réservé ses commentaires afin de ne pas nuire à l’enquête.

Jerry Daniels, grand chef de l’Organisation des chefs du sud du Manitoba, espérait qu’à l’issue d’une « enquête approfondie », les « coupables de crimes horribles contre des enfants soient traduits en justice en utilisant toute l’étendue de la loi ».

Le ministre provincial de la Justice, Cameron Friesen, a affirmé mardi que les Manitobains étaient dévastés d’apprendre l’existence de cette « enquête très importante de la GRC » et que ses pensées allaient à la communauté autochtone. En tant que procureur général, il ne pouvait pas commenter l’affaire elle-même, « sauf pour dire que nous avons foi dans ce processus ».

Une réputation horrible

Le pensionnat de Fort Alexander a effectivement une sinistre réputation d’agressions d’enfants et de fugues. Des survivants ont raconté à la Commission de vérité et réconciliation les mauvais traitements subis, la famine et la discipline extrêmement sévère qui y régnait.

Dans son rapport final, la commission indique qu’en 1990, Phil Fontaine, alors le Grand Chef de l’Assemblée des chefs du Manitoba, avait fait ajouter la question au programme national. Il avait alors dénoncé publiquement « les mauvais traitements que ses camarades de classe et lui ont subis au pensionnat de Fort Alexander », selon le rapport de la commission.

La survivante Victoria McIntosh a raconté à la commission que la vie à ce pensionnat lui avait appris à ne faire confiance à personne. Elle a déclaré que le pensionnat lui rappelait une « cour de prison », qui entraînait les enfants à ne jamais baisser la garde et à réagir par la violence. « On apprenait à ne plus pleurer. On s’endurcissait. Eh oui, on apprenait à ne plus rien montrer. »

Muriel Morrisseau a raconté qu’elle s’était enfuie presque chaque année de son internat à Fort Alexander. Une expérience souvent terrifiante. « Je me rappelle m’être de nouveau enfui et avoir tenté de traverser la rivière, qui a commencé à geler : nous avons tous eu peur et nous avons dû revenir la queue entre les jambes. »

En 1928, deux garçons se sont noyés après avoir tenté de s’enfuir du pensionnat par bateau.

Le Programme de soutien en santé pour résolution des questions des pensionnats offre une ligne d’écoute téléphonique pour les survivants et leurs proches qui souffriraient de traumatismes provoqués par le rappel d’abus passés. On peut joindre la ligne d’écoute, jour et nuit, en composant le 1-866-925-4419.