(Ottawa) Pour la première fois, un juge fédéral a expressément délivré au service canadien d’espionnage des mandats pour mener des opérations à l’étranger, même si cela signifie d’enfreindre les lois d’un autre pays.

Le juge Simon Noël, de la Cour fédérale, a délivré ces mandats au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) il y a cinq mois, mais les motifs de cette décision très discrète n’ont été publiés que cette semaine.

Les pouvoirs de ces mandats extraterritoriaux permettent au SCRS de mener dans d’autres pays des enquêtes ciblées, soit directement, soit avec l’aide de partenaires étrangers, sur des menaces à la sécurité du Canada.

Les motifs du tribunal ne mentionnent aucun détail sur la nature des menaces particulières faisant l’objet d’une enquête, les techniques autorisées ou la région du monde où les enquêtes auraient lieu.

Le SCRS a toujours pu enquêter sur des menaces à la sécurité nationale au Canada et à l’étranger. Par contre, il y a eu pendant des années un certain flou quant à l’étendue des pouvoirs des espions canadiens à l’étranger.

Des changements législatifs entrés en vigueur il y a six ans ont finalement donné aux tribunaux le pouvoir de délivrer des mandats autorisant les opérations du SCRS à l’étranger, même lorsqu’elles pourraient enfreindre les lois d’un autre pays. La décision du juge Noël serait la première indication publique de l’utilisation de ces pouvoirs.

Le juge Noël a indiqué que le SCRS pouvait exercer ces pouvoirs à l’extérieur du Canada avec l’aide du Centre de la sécurité des télécommunications — l’agence fédérale de cyberespionnage — et avec des agences étrangères qui agissent selon leur propre cadre juridique.

La demande était appuyée par une déclaration sous serment d’un cadre supérieur du SCRS, a indiqué M. Noël.

Étant donné qu’il s’agissait de la première demande du SCRS visant à obtenir ces pleins pouvoirs de mandat extraterritorial, le juge Noël a nommé Gordon Cameron, un avocat expérimenté et doté d’une habilitation de sécurité, en tant qu’ami de la cour pour assister le tribunal.

Au cours d’une audience à huis clos d’une journée entière, l’employé du SCRS a répondu aux questions du juge, de l’avocat du procureur général et de M. Cameron.

Lorsqu’un mandat est délivré, les motifs d’un juge ne sont pas automatiquement rendus publics, sauf lorsqu’ils soulèvent des questions de nature exceptionnelle, a déclaré M. Noël.

Dans ce cas, la cour croit que les motifs seront utiles au public canadien, au SCRS et au procureur général du Canada pour promouvoir le principe de la transparence des débats judiciaires afin de s’assurer de la confiance du public « dans un processus judiciaire qui doit parfois fonctionner contrairement à ce principe », a-t-il ajouté.

Dans ses motifs initiaux, datés du 17 février, le juge Noël a affirmé que l’employé du SCRS qui a témoigné a déclaré que, dans le contexte des opérations prévues, le service d’espionnage ne s’engagerait pas dans des activités qui seraient illégales dans un pays étranger.

Dans des témoignages écrits et oraux ultérieurs, l’employé a déclaré qu’il pourrait, en fait, y avoir des situations dans lesquelles le SCRS pourrait devoir mener de telles activités à l’étranger.

Dans des motifs supplémentaires, datés du 10 juin, le juge Noël s’est dit convaincu que « dans ce cas, il existe des circonstances factuelles qui pourraient obliger le Service à utiliser les pouvoirs sans tenir compte de la loi d’un État étranger ».