(Ottawa) Un troisième lieu contenant des ossements humains vient d’être découvert près d’un ancien pensionnat autochtone dans l’Ouest du pays.

La communauté Aq’am, de la Première Nation Ktunaxa, en Colombie-Britannique, a annoncé mercredi avoir découvert 182 dépouilles enterrées dans des tombes anonymes sur un terrain jouxtant l’ancien pensionnat St. Eugene pour enfants autochtones, près de Cranbrook.

« Ces gens sont de ma famille, ce sont des gens de ma communauté, a dit mercredi le chef Jason Louie, de la communauté voisine de Lower Kootenay, à CBC Vancouver. Ils sont allés à cette école et certains d’entre eux y ont laissé leur vie parce qu’ils faisaient partie des Premières Nations. »

Le chef Louie demande au pape François non seulement de s’excuser au nom de l’Église catholique, mais aussi d’autoriser une réparation financière pour les torts subis.

« Appelons les choses par leur nom : il s’agit d’une tuerie de masse de gens des Premières Nations », a dit le chef Louie.

PHOTO ARCHIVES UNIVERSITÉ DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Élèves du pensionnat St. Eugene pour enfants autochtones, près de Cranbrook

Dans son communiqué, la communauté Aq’am a fait savoir que le travail d’identification des dépouilles se poursuit. Mais les sépultures anonymes pourraient aussi être celles de patients de l’hôpital St. Eugene, et non d’enfants forcés de fréquenter le pensionnat St. Eugene. Des petites croix de bois utilisées pour marquer les tombes auraient pu se détériorer avec les années.

« Bien que ces découvertes soient tragiques, des analyses sont toujours en cours, et l’histoire de cette région est très complexe, » peut-on y lire.

« La question des dépouilles des enfants victimes des pensionnats autochtones et enterrés dans des sépultures anonymes est une source de grave préoccupation », conclut le communiqué.

« Triste, mais pas surpris »

Veldon Coburn, professeur adjoint à l’Institut d’études canadiennes et autochtones de l’Université d’Ottawa, note que les découvertes de dépouilles près des pensionnats où ont résidé plus de 150 000 enfants autochtones arrachés à leur famille se succèdent à un tel rythme qu’il est difficile d’en saisir la pleine mesure.

Le nombre de dépouilles trouvées est effarant. Avant, on suspectait la présence de 10 ou peut-être 20 dépouilles près des pensionnats, mais rien de comparable à ce qu’on trouve actuellement.

Veldon Coburn, professeur adjoint à l’Institut d’études canadiennes et autochtones de l’Université d’Ottawa

Johnny Wylde, coordonnateur d’un groupe d’anciens élèves du pensionnat autochtone de Saint-Marc-de-Figuery, en Abitibi, se dit « triste, mais pas surpris » de l’annonce de mercredi.

« On sait que beaucoup de fouilles sont en train d’avoir lieu, et on se doute que des enfants morts ont été enterrés à l’insu de leur famille », dit-il en entrevue téléphonique.

Ces nouvelles tragiques vont continuer de s’accumuler cet été à mesure que les fouilles progresseront, dit-il. « Ce n’est pas terminé. Chaque fois qu’il y a des découvertes, ça nous affecte parce que derrière tout ça il y a de vraies personnes, de vraies familles qui ont été anéanties », dit M. Wylde, qui a fréquenté le pensionnat dès l’âge de 5 ans, contre la volonté de ses parents, et qui y a subi des agressions sexuelles, en plus de violences physique et psychologique.

Tombes peu profondes

Les 182 dépouilles découvertes étaient enterrées dans des tombes « de seulement trois ou quatre pieds de profond », a indiqué la Première Nation de Lower Kootenay sur son site internet. Ce sont des fouilles entreprises l’an dernier avec des radars capables de pénétrer le sol qui ont permis aux chercheurs de faire cette découverte.

PHOTO ARCHIVES UNIVERSITÉ DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Élèves du pensionnat St. Eugene pour enfants autochtones, près de Cranbrook

Le Centre sur l’histoire des pensionnats autochtones, rattaché à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, indique que le premier pensionnat autochtone près de Cranbrook a été ouvert en 1890, et a été en activité jusqu’au début des années 1970. C’est la congrégation cléricale des Missionnaires oblats de Marie-Immaculée qui était responsable du pensionnat.

Selon le centre, des « épidémies de grippe, d’oreillons, de rougeole, de varicelle et de tuberculose étaient courantes au pensionnat ». Dès 1907, le DPeter Bryce, médecin-chef du gouvernement canadien, exposait les conditions « inacceptables » dans les pensionnats autochtones du pays, où les taux de mortalité pouvaient atteindre 25 %, mais le gouvernement a ignoré ses recommandations.

Tricia Logan, directrice adjointe du Centre sur l’histoire des pensionnats autochtones, croit que l’accumulation des histoires et des traumas devra se traduire par une prise de responsabilité de la part de l’Église catholique, des Églises protestantes, du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, notamment.

« Je crois qu’il faut regarder ce que la Commission de vérité et réconciliation a révélé, et y ajouter ce qu’on sait maintenant au sujet des victimes des pensionnats, des preuves que l’on a découvertes », dit-elle.

C’est une enquête gigantesque, mais je crois que c’est une enquête importante à réaliser et que c’est une avenue en gestation en ce moment.

Tricia Logan, directrice adjointe du Centre sur l’histoire des pensionnats autochtones

Les 139 pensionnats autochtones mis sur pied par le gouvernement fédéral, dont certains ont été en activité jusqu’à la fin des années 1990, sont sous les feux de l’actualité ces jours-ci, mais leur nombre réel est bien plus grand, note M. Coburn, un Anichinabé de la nation algonquine de Pikwàkanagàn, en Ontario.

« Ce nombre ne tient pas compte des pensionnats mis sur pied par les provinces ni des pensionnats privés. Les communautés vont vouloir aussi examiner le legs de ces établissements », dit-il.

« Nous devons travailler ensemble »

Le premier ministre Justin Trudeau a exprimé mercredi sa tristesse en réaction à l’annonce de la découverte des restes humains de 182 personnes dans des sépultures anonymes.

M. Trudeau a également tenu à lancer un appel au calme, après que des églises catholiques eurent été incendiées et vandalisées au pays au cours des derniers jours (voir encadré).

« Ce n’est pas la voie à suivre. La destruction des lieux de culte est inacceptable et doit cesser. Nous devons travailler ensemble pour réparer les torts du passé, et c’est ce que nous continuerons à faire », a-t-il fait valoir.

En début de journée mercredi, Justin Trudeau avait écrit sur Twitter que le drapeau du Canada qui flotte au sommet de la tour de la Paix du parlement demeurerait en berne pendant la fête du Canada, le 1er juillet, pour honorer la mémoire des victimes des pensionnats autochtones.

« Pas une année pour fêter »

Cette série de découvertes déchirantes a fait naître un mouvement appelant à boycotter les festivités entourant la fête du Canada.

En réaction à ces révélations éprouvantes pour les communautés autochtones et l’ensemble des Canadiens, des célébrations de la fête du Canada ont été annulées, en totalité ou en partie, à Saint John et Fredericton au Nouveau-Brunswick, à Victoria en Colombie-Britannique, et à St. Albert en Alberta, entre autres.

PHOTO GEOFF ROBINS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des lampes solaires marquent les endroits où 751 tombes anonymes remplies de restes humains ont été découvertes, sur le site de l’ancien pensionnat indien de Marieval, en Saskatchewan.

Malgré les appels à l’annulation des festivités par solidarité avec les autochtones, le ministère du Patrimoine canadien a décidé d’aller de l’avant avec ses évènements virtuels mettant en vedette des artistes de la chanson anglophone, francophone et de langues autochtones.

Johnny Wylde, du groupe des anciens élèves du pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery, ne compte pas célébrer la fête nationale du Canada cette année.

Chaque année, je vais à Ottawa, mais cette année, je reste chez moi, et je pense que tout le monde devrait faire la même chose. Avec tout ce qu’on a appris depuis quelques mois, ce n’est pas une année pour fêter, c’est une année pour réfléchir. Je pense que les festivités devraient être annulées cette année.

Johnny Wylde, coordonnateur d’un groupe d’anciens élèves du pensionnat autochtone de Saint-Marc-de-Figuery, en Abitibi

Jeudi, une marche débutant en après-midi au parc Jeanne-Mance, à Montréal, et réunissant plusieurs conférenciers issus des Premières Nations aura lieu afin de « rendre hommage aux enfants autochtones, dénoncer le génocide et réclamer justice ».

Avec la collaboration de Mélanie Marquis, La Presse, à Ottawa

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Nombre total de dépouilles découvertes depuis le mois de mai près d’anciens pensionnats autochtones au Canada. À ce nombre s’ajoutent les 70 dépouilles découvertes en 2018 près de celui de Brandon, au Manitoba.

Six églises incendiées

PHOTO TRACY DALZELL-HEISE, LA PRESSE CANADIENNE

À Morinville, en Alberta, l’église catholique Saint-Jean-Baptiste a été détruite dans ce qui semble être un incendie criminel, selon le premier ministre de la province, Jason Kenney.

Six églises catholiques ont été incendiées depuis une semaine au Canada, dont deux mercredi, l’une à Morinville, dans le nord de l’Alberta, l’autre sur le territoire de la Première Nation micmaque de Sipekne’katik, à environ 65 km au nord d’Halifax. La cause du premier incendie n’est pas connue, tandis que la Gendarmerie royale du Canada a indiqué avoir ouvert une enquête sur l’origine du second. Quatre petites églises catholiques en territoire autochtone dans des régions rurales du sud de la Colombie-Britannique ont été détruites récemment par des incendies d’origine suspecte.

Avec La Presse Canadienne