(London) L’auteur présumé de la tuerie de London a été accusé, lundi, de terrorisme, en plus des quatre chefs d’accusation de meurtre au premier degré et d’un autre chef d’accusation de tentative de meurtre. Un chef d’accusation « rare » en droit pénal canadien, expliquent deux expertes.

« C’est une des premières accusations, que j’appellerais, de terrorisme domestique, [local] au Canada », souligne Anne-Marie Boisvert, professeure titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal et spécialiste du droit pénal. « Les accusations de terrorisme en sol canadien visaient habituellement des personnes qui voulaient faciliter des activités terroristes à l’étranger ou qui voulaient rejoindre une organisation terroriste à l’étranger », précise-t-elle.

Rappelons que Nathaniel Veltman est accusé d’avoir tué, le 6 juin, quatre membres d’une même famille d’origine pakistanaise lors d’une attaque à la voiture-bélier, dans la ville de London, en Ontario. Lundi, la Couronne a affirmé que les quatre chefs d’accusation de meurtre au premier degré sont liés à une activité terroriste.

ILLUSTRATION ALEXANDRA NEWBOULD, LA PRESSE CANADIENNE

Croquis de Nathaniel Veltman, lors d’une comparution vidéo au tribunal, à London, en Ontario, jeudi dernier

Selon le Code criminel, un acte de terrorisme est commis au nom d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique en vue d’intimider toute ou une partie de la population. Une accusation de terrorisme exige donc une preuve démontrant un but particulier. « La Couronne va devoir prouver des meurtres, des tentatives de meurtre, et va devoir en plus faire la preuve que le jeune homme avait l’intention d’intimider des musulmans », explique Mme Boisvert. Démontrer cette intention sera complexe, croit-elle. « Dans tous les procès, l’intention est le plus difficile à prouver. »

Une peine inchangée

Or, ce chef d’accusation additionnel ne prolongera pas la peine du suspect, précise la doctorante en droit et spécialiste du terrorisme Camille Marquis Bissonnette. Si le suspect est reconnu coupable, il sera condamné à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle après 25 ans.

Ça ne joue pas sur la peine, ça joue sur la symbolique. Ça ne vient pas réparer le tort, mais ça vient mettre une étiquette différente.

Camille Marquis Bissonnette, doctorante en droit et spécialiste du terrorisme

Mme Boisvert doute également de l’effet dissuasif d’un tel chef d’accusation. « Ça ne va pas changer la peine, et même si on la changeait, ça ne fait rien aux terroristes qu’on augmente leur peine. […] On est plus dans le symbole pour les victimes et pour la population visée. L’enjeu pour les gens qui réclament une telle accusation, c’est pour qu’on nomme correctement la chose, qu’on valide le sentiment de terreur. »

Après l’attentat à la grande mosquée de Québec, en 2017, des gens avaient réclamé qu’Alexandre Bissonnette soit accusé de terrorisme. Cependant, aucune accusation de terrorisme n’avait été portée contre lui.

« Si on ne porte pas d’accusation de terrorisme, il y a un scandale. Si on porte une telle accusation, mais qu’il n’y a pas de verdict de culpabilité, il y a aussi un scandale », remarque Mme Boisvert. Cette dernière pense toutefois que si les procureurs portent une accusation de terrorisme dans le cas de Nathaniel Veltman, c’est qu’ils pensent avoir suffisamment de preuves pour obtenir un verdict de culpabilité.

Retour du pendule

« Il n’y a pas de justice totale, mais ça va alléger la douleur de la famille », a réagi un des porte-parole de la communauté musulmane au Québec, Hassan Guillet.

Selon lui, la réponse à la xénophobie ne passe pas seulement par le système judiciaire. « La solution passe aussi par l’éducation, par l’adoption de lois et par la réglementation des réseaux sociaux afin de mettre fin aux propos et à la propagande haineuse », ajoute-t-il.

L’imam Hassan Guillet voit cela également comme un retour du pendule, puisque le préjugé a longtemps été que les musulmans sont les seuls auteurs d’activités terroristes. « Il y avait un certain malaise au sein de la communauté, comme si les activités terroristes étaient réservées aux musulmans. […] Maintenant, on voit qu’il y a une certaine équité », conclut-il.