(Toronto) Le choc généralisé provoqué par la découverte de ce que l’on pense être les restes enfouis de 215 enfants autochtones a mis en évidence l’ignorance généralisée chez de nombreux Canadiens de l’un des chapitres les plus sordides, mais encore incomplets, de l’histoire nationale du Canada, disent des experts et des observateurs.

Selon eux, cet ébahissement est attribuable en grande partie à des systèmes d’éducation réticents à raconter les horreurs du système des pensionnats autochtones. Pour certains, la récente découverte pourrait permettre de basculer vers un changement attendu depuis longtemps.

« Les évènements de Kamloops n’ont été une véritable révélation que pour le Canadien moyen qui n’est pas autochtone », dit Sean Motheith, un conseiller en éducation autochtone auprès de l’Association des conseils scolaires de l’Ontario. « La plupart des Canadiens ignorent cette histoire commune. C’est sans doute plus une question d’ignorance que d’un choix volontaire. »

Dans une récente déclaration à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, le premier ministre John Horgan a fait allusion à cette situation en déplorant qu’il n’eût jamais entendu parler une victime du système dans une école secondaire. Il est crucial de changer le contenu de l’enseignement, a-t-il dit.

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Le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan

« Il faut s’assurer que les élèves du primaire et du secondaire reçoivent un enseignement complet de l’histoire du Canada, pas une histoire à l’eau de rose, mais la réalité complète, a déclaré M. Horgan. Je détiens des diplômes en histoire de deux universités, mais je ne connaissais pas les atrocités commises dans les pensionnats de notre système d’éducation public.

Le guide « Découvrir le Canada » que peuvent consulter ceux qui font une demande de citoyenneté parle un peu de la triste réalité des pensionnats autochtones. On fait état du fait que « les élèves y vivaient dans la misère [et que] certains y étant même maltraités physiquement », sans aller jusqu’à mentionner les agressions sexuelles, les milliers de décès d’enfants ou le traumatisme transmis de génération en génération.

« Dans le Canada d’aujourd’hui, les peuples autochtones retrouvent leur fierté et leur confiance, et ils ont à leur actif de grandes réalisations dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement, des affaires et des arts », peut-on lire dans ce document.

Norman Yakeleya, le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations pour les Territoires du Nord-Ouest, lui-même une victime des pensionnats indiens, juge que ce n’est pas suffisant. Il réclame un « chapitre fort » qui raconterait la vérité sur ces établissements et leurs répercussions.

« Je me sens très, très, très triste et très en colère, lance M. Yakeleya. On doit chambouler tout cela pour afin d’écrire plus d’un paragraphe à ce sujet. »

L’Association canadienne des commissions/conseils scolaires — dont fait partie l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec — demande l’élaboration d’un programme national pour les élèves du primaire et du secondaire sur les pensionnats et autres sujets. Des victimes et autres Autochtones y contribuent. Il faut, dit-elle, aussi financer les établissements d’études supérieures pour former les enseignants aux connaissances autochtones.

Darren McKee, le directeur général de la Saskatchewan School Boards Association, dit avoir entendu parler des traités de Versailles et d’Utrecht en grandissant dans la province, mais jamais de ceux entre la Couronne et des Premières Nations.

« L’histoire évolue. Il y a besoin de l’orienter vers ce que la majorité considère comme important, fait-il valoir. Nous devons reconnaître que la vérité n’a pas été enseignée. »

Bien que de nombreux Canadiens aient peu appris sur les pensionnats, des provinces et des territoires ont récemment apporté des changements à leurs programmes d’études en réponse à la Commission de vérité et réconciliation, ou s’efforcent de le faire.

L’Alberta, qui ne faisait qu’une simple référence aux systèmes des pensionnats au secondaire III, compte enseigner « la partie sombre et déplorable de l’histoire du Canada » de la maternelle à la 6e année. Les sujets incluront les maladies, la malnutrition et la négligence qui ont contribué aux milliers de décès d’enfants.

« Ce que nous proposons, c’est une énorme augmentation du contenu », a déclaré le premier ministre Jason Kenney.

D’autres provinces ou territoires ont aussi apporté des changements pour se concentrer davantage sur les pensionnats autochtones. La plupart veulent offrir davantage de contenus à un plus large éventail de groupe d’âge.

Au Québec, certains aspects de l’histoire des Premières Nations sont enseignés. Le ministère de l’Éducation a révisé certains contenus afin de mieux considérer la perspective des Autochtones sur des évènements importants comme la période des pensionnats. »

« Compte tenu des complexités de compétence, l’élaboration d’un programme d’études cohérent sera difficile. Différentes idéologies politiques font obstacle à une approche plus standardisée », soutient M. McKee.

Celui-ci croit que les enfants semblent saisir l’importance de ce qui s’est passé au pays.

« Les enfants regardent cela et ils semblent comprendre, souligne-t-il. Ils semblent ouverts à comprendre ces torts et à faire une différence à l’avenir, mais nous avons encore beaucoup de travail. »

Quoi qu’il en soit, les experts croient qu’aucun Canadien ne peut ignorer désormais — que ce soit volontairement ou non — ce qui est une vérité évidente et flagrante pour les Premières Nations. On assiste à un réveil sans précédent, observe M. Monteith.

« Un mouvement va naître pour que cette histoire partagée soit enseignée à toutes les salles de classe, dit-il. C’est de cette façon que nous allons faire progresser la réconciliation, non seulement dans nos écoles et dans nos salles de classe, mais aussi dans nos maisons et dans nos collectivités. »