Poussière, bruit, particules fines, gaz à effet de serre… Les impacts de la cimenterie que Colacem Canada, entreprise de propriété québécoise, entend construire en Ontario, à une centaine de kilomètres de Montréal, suscitent des inquiétudes des deux côtés de la rivière des Outaouais et font l’objet de débats judiciaires ces jours-ci.

Colacem Canada, possédée conjointement par une société de gestion appartenant à l’ex-ministre québécois David Whissell et par Béton Provincial Finance, veut bâtir sa cimenterie dans la petite communauté rurale du Canton de Champlain, près du village de L’Orignal, à côté d’une carrière qu’elle possède déjà. Mais les activités de cette carrière sont déjà problématiques, dénonce Michael Santella, qui habite à quelques kilomètres de là. « Il y a des explosions qu’on ressent même ici chez moi. La maison tremble. »

M. Santella est l’un des cofondateurs du groupe Action Champlain, créé par des résidants du Canton lorsque le projet de cimenterie a été annoncé en 2011. La situation est pire pour ceux qui habitent près de la carrière sur la route 17, dit-il. « Ces gens-là mangent la poussière, respirent les vapeurs de diesel des camions qui rentrent et sortent. »

PHOTO DAVID BOILY, LAPRESSE

Les installations de Colacem Canada sur la route 17, à Champlain

La perspective de voir cette carrière tourner à plein régime pour alimenter une cimenterie est à ses yeux inacceptable. Il n’est pas le seul.

Le Canton de Champlain a refusé la demande de changement de zonage – de rural à industriel lourd –, bloquant ainsi la construction de l’usine.

Par contre, les Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR), regroupement de huit municipalités dont fait partie le Canton, ont donné le feu vert au projet.

Ces deux visions s’affrontent aujourd’hui devant un tribunal administratif ontarien, le Tribunal d’appel de l’aménagement local. Colacem conteste le refus du Canton, et Action Champlain conteste l’approbation des Comtés unis. Les deux affaires font l’objet d’une audience commune qui a débuté le lundi 9 novembre.

Colacem Canada, dont les activités comprennent la production d’asphalte et de chaux agricole en Ontario, fait partie du groupe québécois Uniroc. Son PDG, David Whissell, qui a été ministre dans le gouvernement libéral de Jean Charest, a toutefois dirigé nos questions sur la cimenterie vers Béton Provincial, qui pilote le dossier. « La cimenterie a beaucoup plus un intérêt pour mon coactionnaire », a indiqué M. Whissell.

Le président de Béton Provincial, André Bélanger, et sept autres employés de l’entreprise se sont inscrits récemment au Registre québécois des lobbyistes. Les démarches visent l’achat de la cimenterie gaspésienne McInnis, et une demande de contribution gouvernementale de 150 millions de dollars. M. Bélanger n’a pas rappelé La Presse avant la publication de cet article.

L’usine ontarienne, un projet de 225 millions de dollars, aura une capacité de production annuelle de 1,16 million de tonnes de ciment, indique le site de Colacem Canada. Sa construction créera environ 200 emplois sur deux ans et son exploitation amènera 125 emplois directs, affirme l’entreprise.

PHOTO FOURNIE PAR VANKLEEK HILL AND DISTRICT NATURE

Vue aérienne de la carrière de Colacem Canada, dans le Canton de Champlain, en Ontario.

Selon Colacem, les activités n’auront pas d’impact « au-delà des normes applicables » sur la qualité de l’air et sur les émissions sonores, ni « d’impact significatif » sur la circulation, et la qualité de l’eau fera l’objet d’un suivi environnemental strict. La cimenterie a d’ailleurs obtenu ses approbations du ministère de l’Environnement ontarien.

« Ils donnent des approbations basées sur des règlements qui sont désuets, qui n’ont pas été mis à jour par rapport aux connaissances actuelles », affirme M. Santella, en citant notamment les effets du bruit, le déplacement des particules fines sur de longues distances et les émissions de gaz à effet de serre des cimenteries.

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Michael Santella, cofondateur d’Action Champlain

La proximité de la rivière des Outaouais, qui sépare l’Ontario du Québec, aurait nécessité une évaluation environnementale d’Ottawa, estime-t-il. L’ex-ministre fédérale de l’Environnement. Catherine McKenna, avait jugé que ce n’était pas nécessaire, une décision vertement critiquée par Nature Canada.

« Aucun effort n’a été fait pour impliquer les Québécois même si la cimenterie serait construite à quelques kilomètres de la province », avait déploré le groupe environnemental sur son blogue, en évoquant le risque que des émanations soient amenées jusqu’à Montréal par les vents d’ouest.

« Ce projet va définitivement nous affecter », avait aussi fait valoir le grand chef du Conseil mohawk de Kanesatake, Serge Simon, dans une lettre aux Comtés unis de Prescott et Russell. Outre les « effets indésirables » de la production de ciment sur l’environnement et ses habitants, M. Simon s’inquiétait des impacts sur les activités de chasse et de pêche de sa communauté, située en aval.

Les audiences, d’une durée prévue de 19 jours, se poursuivent devant le tribunal ontarien.