Le bombardier russe volait droit vers le Canada. Un Tupolev T-95, monstre métallique de 46 mètres de long, capable de déployer de puissants missiles de croisière. Riel Erickson devait l’intercepter d’urgence.

La pilote canadienne avait foncé dans le ciel à toute allure aux commandes de son chasseur CF-18 et s’était approchée de l’intrus, en pleine maîtrise de son appareil. Très proche. Assez pour pouvoir distinguer l’équipage à l’intérieur. Mais elle n’avait pas le temps de s’y attarder.

« C’est ce pour quoi on s’entraîne. Ce n’est pas un jeu, ça, c’est sûr. On devient tellement concentré qu’on ne pense même pas au stress », raconte-t-elle.

L’histoire remonte aux environs de 2007-2008. Après plus d’une quinzaine d’années d’accalmie, la Russie de Vladimir Poutine avait recommencé à « taquiner » la zone de défense de l’Amérique du Nord avec des incursions d’avions militaires. Les actions n’étaient pas agressives, mais elles étaient vues comme un test et une provocation. Le Canada et les États-Unis réagissaient toujours au quart de tour.

Riel Erickson avait été la première femme à intercepter un bombardier étranger à l’approche de l’espace aérien canadien. La démonstration de force canadienne avait été efficace ce jour-là. Serré de près à haute altitude, le bombardier avait fini par s’éloigner. « Une interception mémorable », se souvient la pilote de chasse.

La fin des chasses gardées

Alors que l’Aviation royale canadienne célèbre le jour du Souvenir aujourd’hui, les célébrations auront une saveur particulière à l’école de pilotage de Moose Jaw, en Saskatchewan. Le « Top Gun » canadien, où sont formés tous les pilotes militaires, vient de passer sous commandement féminin pour la toute première fois de son histoire. La nouvelle patronne n’est nulle autre que Riel Erickson, maintenant hissée au rang de lieutenant-colonel.

Une nomination significative, si l’on considère que la force aérienne a longtemps refusé de laisser les femmes piloter. Au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, alors que le manque de pilotes se faisait cruellement sentir, certains responsables qui plaidaient pour qu’on laisse les femmes prendre leur place dans un cockpit avaient été déboutés.

Même après l’ouverture des rôles de combat aux femmes, les escadres de CF-18 sont demeurées une chasse gardée masculine. Mme Erickson n’est que la cinquième Canadienne dans l’histoire à avoir obtenu ses « ailes » de pilote de CF-18. Encore aujourd’hui, les pilotes de chasse féminines en service se comptent sur les doigts d’une main au pays. Et la nouvelle patronne de l’école veut que ça change.

C’est vraiment mon but. J’ai vu l’impact que j’ai quand je rencontre des jeunes femmes et qu’elles réalisent qu’elles peuvent faire ce métier. Ce n’est pas qu’on leur a dit qu’elles ne pouvaient pas. C’est juste qu’elles n’ont jamais vu quelqu’un comme elles le faire.

Riel Erickson, commandante de l’école de pilotage de Moose Jaw, en Saskatchewan

Elle affirme que ses collègues masculins se sont toujours bien comportés avec elle, mais raconte avoir fait face à des « défis », notamment en matière de conciliation travail-famille. Il y a seulement deux bases de CF-18 au Canada, l’une en Alberta et l’autre au Saguenay. Le travail est très prenant, les risques sont réels, et les pilotes sont parfois appelés à être déployés à l’étranger. Mme Erickson est mère de deux enfants et son conjoint est pilote d’hélicoptère militaire.

« Il y a toujours une saine rivalité entre nous, des blagues à savoir si c’est plus cool de voler vite ou de voler très bas », dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR L’AVIATION ROYALE CANADIENNE

La lieutenant-colonel raconte être devenue pilote pour suivre les traces de son oncle, vétéran de la guerre du Golfe.

« À la limite de nos capacités »

C’est inspirée par les histoires de guerre de son oncle que Riel Erickson a décidé de s’engager dans l’aviation. Pilote de CF-18 pendant la guerre du Golfe, il avait participé aux combats contre un navire de guerre irakien qui était sorti de l’affrontement solidement endommagé. « En revenant, il était comme une légende », dit-elle.

À son entrée à l’école de pilotage, la jeune femme n’avait aucune idée du type d’aéronef qu’elle souhaitait piloter. Jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de la haute performance des avions de combat. Voler dans un jet à 2222 km/h, près de deux fois la vitesse du son, sentir son corps s’écraser sous la force de l’accélération, enchaîner les virages serrés, c’était ce qu’elle préférait.

On opère à la limite de nos capacités. Souvent, l’excitation vient du fait que tant de choses arrivent tellement vite.

Riel Erickson, commandante de l’école de pilotage de Moose Jaw, en Saskatchewan

« Il y a beaucoup de détecteurs à bord, le radar, le système de visée, il faut garder un œil sur plusieurs autres avions autour, poursuit-elle. Ça garde les choses très intéressantes. Tout va très, très vite. C’est demandant physiquement, mentalement et, certains jours, émotionnellement. »

Surnom : « Guns »

Chaque pilote de combat reçoit un surnom dans les Forces armées. Celui de Riel Erickson est « Guns », en souvenir de la première journée où elle s’est entraînée à faire feu avec le canon du CF-18, une machine infernale capable de tirer plus de 66 projectiles à la seconde.

PHOTO FOURNIE PAR L’AVIATION ROYALE CANADIENNE

La lieutenant-colonel Riel Erickson à son entrée en fonction comme commandante de l’école de pilotage de Moose Jaw, en Saskatchewan, le mois dernier.

« J’ai appuyé sur la détente et j’ai commencé à rigoler sans m’arrêter pour une minute ou deux. L’instructeur n’avait jamais vu une réaction comme ça. C’est extrêmement puissant, tout l’avion tremble, et c’est une gratification instantanée. J’aimais plus ça que de lâcher une bombe, parce qu’alors il faut attendre plusieurs secondes avant qu’il se passe quelque chose », raconte-t-elle sans pouvoir s’empêcher de rire à nouveau.

Dans ses nouvelles fonctions à l’école de Moose Jaw, l’officière ne pilotera plus aussi souvent, mais elle s’est promis de voler autant que possible dans le CT-155, le petit avion à réaction utilisé pour former les élèves.

« Souvent, plus notre carrière progresse, moins on passe de temps dans le cockpit. Mais une des bonnes choses ici, c’est que je vais pouvoir voler encore. J’ai eu tellement de bons mentors, je veux passer le flambeau et encourager les nouveaux », dit-elle.