(Ottawa) Durant les quatre années de règne de Donald Trump, les relations canado-américaines ont été reléguées au rang de l’indifférence. Le désintérêt du locataire de la Maison-Blanche, souvent teinté de mépris, a été la ligne de conduite de son administration, sauf quand il s’agissait de dénoncer les prétendues pratiques commerciales injustes du Canada ou encore les dépenses militaires insuffisantes.

Durant toute sa présidence, Donald Trump n’a foulé le sol canadien qu’une seule fois, lors du sommet du G7 en juin 2018, à Charlevoix. Il y est passé en coup de vent, le temps de participer à quelques rencontres bilatérales avec les autres leaders de ce groupe sélect, dont le premier ministre Justin Trudeau, hôte du sommet.

Il a quitté les lieux quelques heures seulement après son arrivée, préférant mettre le cap vers Singapour afin de participer à un sommet sur la paix avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.

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Donald Trump accueilli par Justin Trudeau au sommet du G7, à Charlevoix, en juin 2018.

À bord d’Air Force One, il a injurié Justin Trudeau en le qualifiant de « malhonnête » et de « faible » sur son compte Twitter parce que le premier ministre avait déclaré aux journalistes que « les Canadiens sont polis et raisonnables mais [qu’ils] ne se laisseraient pas bousculer » durant les difficiles négociations visant à moderniser l’ALENA. La colère du président était telle qu’il a rejeté le communiqué final du G7 auquel il avait auparavant donné son approbation.

Autre signe de l’apathie de l’administration de Donald Trump envers le Canada, le poste d’ambassadeur des États-Unis à Ottawa – le plus important dans la capitale fédérale aux yeux du gouvernement canadien – a été vacant pendant plus de la moitié de son mandat. Kelly Craft, l’ambassadrice qu’il a nommée en juin 2017, six mois après son arrivée au pouvoir, a finalement débarqué à Ottawa le 23 octobre. Mais durant son séjour de moins de 18 mois qui a pris fin en juillet 2019, elle a passé 300 jours à l’extérieur du Canada, le plus souvent pour retourner chez elle à Lexington, au Kentucky.

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Kelly Craft, ex-ambassadrice des États-Unis au Canada

Donald Trump a attendu jusqu’en février dernier avant de nommer un nouvel émissaire, jetant son dévolu sur Aldona Wos, une médecin à la retraite de la Caroline du Nord qui a servi notamment comme ambassadrice des États-Unis en Estonie de 2004 à 2006. Mais sa nomination n’a toujours pas été confirmée par le Sénat. Le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis au Canada, Richard Merrill Mills, diplomate de carrière, représente donc les intérêts américains dans la capitale canadienne depuis l’été 2019.

Dans l’histoire des deux pays, un président aura rarement traité le Canada avec une telle indolence.

En privé, le premier ministre et ses ministres influents souhaitent que les électeurs américains mettent fin au tumulte qui a marqué les quatre années de pouvoir de Donald Trump à Washington. Si on appréhende un autre mandat du milliardaire républicain, on rappelle aussi qu’on a appris à composer avec son style imprévisible.

La stratégie du gouvernement Trudeau a été habilement exécutée. « Team Canada » – qui comprend les ministres fédéraux, les premiers ministres des provinces, les maires des grandes villes et les gens d’affaires – a multiplié les visites sur le sol américain afin de tisser des liens de confiance avec les gouverneurs des États-clés, les membres du Congrès, les maires des grandes villes américaines et les gens d’affaires. Cette formule continuera d’être appliquée, peu importe les résultats du 3 novembre, indique-t-on en coulisses.

« La profondeur des relations canado-américaines dépasse largement le caractère d’une administration », a souligné une source gouvernementale qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement.

« On a vécu avec des administrations républicaines et des administrations démocrates. Et la force de nos liens, ce sont les 400 000 personnes qui traversent la frontière tous les jours en temps normal, ce sont les 2 milliards d’échanges commerciaux quotidiens, c’est aussi le fait que les deux tiers des États américains ont le Canada comme premier client. On est aussi le premier fournisseur en énergie des États-Unis et un voisin stable, prévisible et où la primauté du droit règne. On est des partenaires en sécurité aussi », a ajouté cette source.

« Il peut y avoir des différends, mais la fondation de la maison est solide et elle va le demeurer, peu importe l’administration. »

En 2001, George W. Bush avait fait entorse à une tradition diplomatique vieille de près de 60 ans en faisant du Mexique, et non du Canada, la première destination étrangère de sa présidence.

Le Canada avait encaissé le coup, mais n’avait pas hésité un instant à prêter main-forte aux Américains après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, appuyant vaillamment l’effort de guerre des États-Unis contre les talibans en Afghanistan durant plus d’une décennie.

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Première visite officielle au Canada du président Obama, reçu par le premier ministre Stephen Harper, en 2009.

Signe qu’il accordait une importance sincère aux relations entre le Canada et les États-Unis, l’ancien président démocrate Barack Obama a pris soin de restituer cette tradition en effectuant sa toute première visite officielle à l’étranger de son mandat au Canada, en février 2009.

La bromance

Les relations se sont corsées quelque peu entre les deux capitales par la suite, notamment après le refus de Barack Obama d’accorder un permis présidentiel pour la construction de l’oléoduc Keystone XL – un projet cher à l’ancien premier ministre Stephen Harper. Mais cette période de tensions a vite été oubliée après l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau en 2015. On a eu droit à une amitié fraternelle, bromance, entre lui et le président démocrate, et les deux hommes demeurent des amis à ce jour. En 2016, Barack Obama est revenu à Ottawa afin de prononcer un discours devant le Parlement, suivant ainsi les traces des présidents Bill Clinton (1995), Ronald Reagan (1986), John F. Kennedy (1961), Dwight D. Eisenhower (1953 et 1958) et Harry Truman (1947).

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Deux dirigeants aux atomes crochus…

Quelle tournure prendraient les relations canado-américaines si Joe Biden accédait à la présidence ? Un début de réponse pourrait se trouver dans un discours que l’ancien vice-président de l’administration Obama a prononcé lors d’une visite officielle à Ottawa, en décembre 2016, environ un mois avant la prestation de serment de Donald Trump.

« Les Américains voient [le Canada] comme une famille – pas seulement des alliés, pas seulement des amis, pas seulement notre plus grand partenaire commercial, mais nos valeurs sont les mêmes », avait-il affirmé durant son discours. « Vive le Canada », avait-il aussi lancé en français à la fin de son allocution.

Joe Biden avait alors rappelé que la famille de sa première femme, morte avec leur bébé dans un accident de la route en 1972, venait de Toronto. Et il avait souligné au premier ministre Justin Trudeau que son père, Pierre Trudeau, avait pris le temps de l’appeler pour lui offrir ses condoléances à la suite de cet évènement tragique.

« Le partenariat entre le Canada et les États-Unis est l’un des plus robustes, complexes et importants du monde », avait aussi souligné le vice-président durant sa visite de deux jours à Ottawa au cours de laquelle il avait aussi rencontré les premiers ministres des provinces et les leaders autochtones, réunis pour l’occasion par M. Trudeau.

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Joe Biden lors de sa visite à Ottawa en 2016

Des différends seraient sans doute inévitables entre les deux pays malgré tout. Une administration Biden aurait aussi des penchants protectionnistes – le candidat démocrate a entonné le refrain « Buy America » pour relancer l’économie américaine durant la campagne présidentielle. Joe Biden a aussi promis d’annuler le permis présidentiel autorisant la construction de l’oléoduc Keystone XL qui a été accordé par Donald Trump – une promesse qui fait craindre le pire à l’Alberta, déjà durement éprouvée par la chute des prix du pétrole depuis cinq ans et la crise économique provoquée par la COVID-19.

Mais on est convaincus à Ottawa qu’une nouvelle administration signifierait un certain retour à la normale dans les relations entre les deux pays. Et une fois la pandémie maîtrisée des deux côtés de la frontière, on se plaît à imaginer que l’ancien bras droit de Barack Obama choisirait d’effectuer sa toute première visite officielle à l’étranger sur le sol canadien s’il devenait président. Après tout, comme il l’affirmait il y a quatre ans, les Américains voient bien le Canada comme un membre de la famille.