(Montréal) Les membres de la diaspora arménienne au Canada souhaitent que le gouvernement fédéral appuie plus fermement leur pays dans le conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan.

Connus pour leur soutien indéfectible à leur pays d’origine, ils conservent le douloureux souvenir du génocide commis contre leur peuple en 1915 par l’Empire ottoman, aujourd’hui devenu la Turquie. Ils redoutent que le conflit actuel qui est, selon eux, alimenté en partie par la Turquie, mène à un autre génocide.

Si ce conflit ne préoccupe guère les Canadiens, ce loin d’être le cas de la Montréalaise Talar Chichmanian, dont le mari est parti là-bas s’enrôler parmi les forces arméniennes. Lors d’un conflit précédent, en 1994, elle avait perdu son père, son frère et son oncle.

« Normalement, je suis fière de m’identifier comme Canadienne, mais la dernière semaine a été remplie d’horribles déceptions, déplore-t-elle. Je ne veux pas voir des larmes le jour du Souvenir. Je veux des actions concrètes, maintenant. »

Ses deux enfants, âgés de 9 et 12 ans, sont terrifiés. « Il y a certaines choses que je peux leur dire, mais je ne peux pas tout leur raconter. Leurs vies sont déjà assez bouleversées par la COVID-19, je ne veux pas leur imposer davantage de stress. »

Selon les autorités arméniennes, la Turquie envoie des soldats et des mercenaires syriens pour aider l’Azerbaïdjan. Mme Chichmanian aimerait voir le Canada faire pression pour expulser la Turquie de l’OTAN.

Le 5 octobre, le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a annoncé que le Canada avait cessé d’exporter des drones militaires vers la Turquie pendant qu’il enquêtait les allégations voulant qu’ils soient utilisés par les forces azerbaïdjanaises lors des derniers combats.

M. Champagne a dit avoir prévenu son homologue turc, Mevlut Cavusoglu. « Je lui ai clairement fait savoir qu’il ne devait pas prendre part au conflit », a-t-il affirmé.

Près de la moitié des 64 000 personnes qui se sont identifiées comme Arméniennes lors du recensement de 2016 vivent dans la région de Montréal. Même si les Arméniens se sont bien intégrés à la société canadienne, Taline Zourikian souligne que sa communauté demeure solidement tissée.

« Nous ne sommes pas assimilés », assure Mme Zourikian, une psychologue qui a aidé à organiser une manifestation jeudi à Montréal. La cinquantaine de personnes présentes ont demandé aux médias canadiens de porter davantage attention à ce conflit.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

« Nous sommes les descendants des survivants du génocide arménien », explique-t-elle en faisant référence au meurtre de 1,5 million d’Arméniens en 1915. Le Canada a reconnu et condamné officiellement le génocide en 2004.

Kyle Matthews, le directeur général de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, compare le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan à une invasion d’Israël par l’Allemagne.

Il rappelle que le gouvernement turc n’a jamais reconnu le génocide arménien et a même emprisonné des gens qui en faisaient mention.

« La dernière étape du génocide est le déni, dit M. Matthews. On craint que la Turquie, en se montrant aussi agressive, n’ait des arrière-pensées dans ce conflit. »

Pour lui, il existe des « preuves documentées que la Turquie a transporté des combattants religieux extrémistes de Syrie en Azerbaïdjan pour combattre les forces arméniennes ».

Lara Aharonian, fondatrice et directrice du Women’s Resource Centre, une ONG en activité en Arménie et à Shusha, une ville du Haut-Karabakh, est préoccupée par l’arrivée de ces combattants.

« C’est une menace directe pour les femmes vivant dans les zones frontalières et les zones de conflit », souligne cette diplômée de l’Université de Montréal, aujourd’hui installée en Arménie.

Elle s’inquiète du sort des quelque 75 000 personnes qui ont été déplacées par les combats actuels au milieu de la pandémie de COVID-19.

« Il y a une génération qui a connu le déplacement pour la deuxième fois de sa vie », mentionne Mme Aharonian.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont convenu d’un cessez-le-feu négocié par la Russie dans le Haut-Karabakh à partir de samedi, mais se sont immédiatement accusés mutuellement de faire dérailler l’accord.

Quelques minutes après l’entrée en vigueur de la trêve, l’armée arménienne a accusé l’Azerbaïdjan d’avoir bombardé la zone près de la ville de Kapan dans le sud-est de l’Arménie, tuant un civil. Le ministère azerbaïdjanais de la Défense a rejeté les accusations arméniennes, les qualifiant de « provocation ».

Les Canado-Arméniens disent que le gouvernement canadien doit faire plus avant qu’il soit trop tard.

Sevag Belian, le directeur général du Comité national arménien du Canada, exhorte le Canada à condamner la Turquie et l’Azerbaïdjan.

« Parce que si nous ne tenons pas les agresseurs responsables, ils continueront de commettre leurs crimes en toute impunité », fait-il valoir.

Cette dépêche a été produite avec l’aide financière des Bourses de Facebook et de La Presse Canadienne pour les Nouvelles.