(Ottawa) Une photographe québécoise veut demander aux tribunaux d’obliger la GRC à détruire toutes les images de Canadiens obtenues grâce à la technique controversée de reconnaissance faciale.

Ha Vi Doan demande à la Cour fédérale d’autoriser une action collective afin d’obtenir des dommages-intérêts, non précisés, pour elle et tous les autres Canadiens dont les photos et les informations connexes auraient fait partie de l’énorme base de données compilée par la firme américaine Clearview AI et utilisée par les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le cadre de ses enquêtes.

La technologie de Clearview AI inquiète de nombreux défenseurs de la vie privée, car elle permet la collecte d’un grand nombre d’images provenant de sources multiples, dans le but d’aider les corps policiers, les institutions financières et d’autres clients à identifier des individus à partir de photos. Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée a déclaré ce mois-ci que Clearview cesserait d’offrir ses services de reconnaissance faciale au Canada, à la suite d’une enquête menée par ses services et par trois commissaires provinciaux, dont celui du Québec.

Le retrait de Clearview signifie aussi la suspension de son contrat avec la GRC, son ultime client au Canada. La police fédérale déclarait en février que son Centre national contre l’exploitation d’enfants avait acheté deux licences d’exploitation pour l’application Clearview AI et avait utilisé cette technologie dans 15 enquêtes, ce qui aurait permis d’identifier des suspects et de sauver deux enfants. La GRC a déclaré que quelques-uns de ses autres services essayaient également Clearview AI pour déterminer son utilité.

L’action collective proposée par Mme Doan indique que la GRC est devenue un client de Clearview AI même si le recours aux services de l’entreprise a entraîné une atteinte massive à la vie privée des résidents et des citoyens canadiens, ainsi qu’une violation du droit d’auteur.

Ses photos ont été utilisées

Mme Doan est passionnée par la photographie ; elle prend des photos d’elle-même et d’autres personnes et elle en publie plusieurs sur son propre site internet et sur des plateformes en ligne telles que Facebook et Instagram, indiquent les documents judiciaires.

Elle allègue que ses « informations biométriques personnelles » et des photos prises par elle ont été recueillies, copiées, reproduites, stockées ou utilisées par Clearview à son insu ou sans son consentement.

L’action collective couvrirait trois types de demandeurs :

– tous ceux au Canada dont les images se trouvent dans la base de données de Clearview AI ;

– tous ceux qui ont fait l’objet de recherches ciblées de la GRC dans la base de données ;

– tous ceux qui détiennent les droits d’auteur et des droits moraux sur ces photos.

Mme Doan demande au tribunal d’ordonner à la GRC de détruire tous les documents et informations obtenus lors de ses recherches dans la base de données de Clearview. L’action collective vise aussi à empêcher les policiers fédéraux d’utiliser à l’avenir la base de données de Clearview « ou des services similaires d’autres fournisseurs ».

L’avocat de Mme Doan, Lev Alexeev, estime qu’avant d’utiliser les services de Clearview, la GRC « aurait dû mieux connaître » et vérifier la conformité de cette technologie aux lois et règlements canadiens.

La caporale Caroline Duval, porte-parole de la GRC, a déclaré que la police examinait le dossier, mais elle a refusé de commenter puisque l’affaire est devant les tribunaux.

Mme Doan a déposé en Cour fédérale une deuxième demande d’action collective, cette fois contre Clearview AI, alléguant toujours des atteintes à la vie privée et au droit d’auteur. Elle demande dans ce cas-ci une ordonnance enjoignant l’entreprise à détruire tous les renseignements personnels sur les Canadiens et de lui interdire de faire des affaires au Canada.

Les représentants de Clearview AI n’ont fait aucun commentaire lundi.

Des dizaines de groupes et de citoyens ont récemment écrit au ministre canadien de la Sécurité publique, Bill Blair, pour lui demander d’interdire l’utilisation de la reconnaissance faciale par les services fédéraux. Sa porte-parole, Mary-Liz Power, a répondu qu’aucune directive fédérale sur l’utilisation de cette technologie n’avait été donnée aux forces de l’ordre.