(Ottawa) Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada annonce que la société technologique américaine Clearview AI va cesser d’offrir son service de reconnaissance faciale au Canada en réaction à une enquête lancée par son bureau et trois de ses homologues provinciaux.

L’existence de Clearview Ai a été mise au jour par une enquête du New York Times, qui a révélé que des policiers utilisent ce logiciel pour identifier des suspects. L’entreprise a fourni des dizaines d’accès gratuits à des enquêteurs, leur permettant de comparer des images à des milliards de photos d’utilisateurs récoltées sans consentement sur Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) avait reconnu, en février, s’en être servie dans le cadre de deux enquêtes sur l’exploitation sexuelle d’enfants. L’affaire avait déclenché une enquête commune du Commissariat à la protection de la vie privée et de ses homologues provinciaux, dont la Commission d’accès à l’information du Québec, évoquant une possible violation des lois sur la protection des renseignements personnels.

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Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien

Le Commissaire à la protection de la vie privée affirme que Clearview a mis fin à son contrat avec la GRC, « son dernier client au Canada ».

La suppression des renseignements personnels des Canadiens que Clearview a déjà recueillis, ainsi que l’arrêt de la collecte par Clearview des renseignements personnels des Canadiens, demeurent notamment des sujets [à l’] étude.

Extrait du communiqué conjoint publié par le Commissaire fédéral et ses homologues provinciaux

Le retrait de Clearview Ai du marché canadien survient quelques jours après que IBM, Amazon et Microsoft ont décrété des moratoires sur la vente de logiciels de reconnaissance faciale aux services de police, citant des risques de « surveillance de masse » et de biais raciaux. De nombreuses études montrent que ces logiciels font davantage d’erreurs pour identifier les femmes et les personnes à la peau noire.

« C’est un aveu que ces logiciels fonctionnent mal et sont un risque important pour les droits fondamentaux », commente la députée libérale Marwah Rizqy, qui réclame depuis plusieurs mois un moratoire sur le déploiement de la reconnaissance faciale au Québec.

SQ et SPVM

La Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) affirment ne jamais avoir utilisé Clearview Ai. La SQ est cependant sur le point d’acquérir une technologie semblable de la société française Idemia. Ce logiciel doit être déployé en décembre, selon le devis consulté par La Presse. Le service de police promet de s’en servir uniquement pour comparer des photos de suspects à sa banque de photos signalétiques de criminels reconnus, et non à des photos provenant de l’internet, comme le fait Clearview.

Le ministre de la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire, a récemment indiqué que le gouvernement n’a pas l’intention de reculer avec le projet d’acquisition de la reconnaissance faciale par la SQ. La technologie sera uniquement utilisée comme outil d’enquête et ne pourra servir de preuve devant les tribunaux, à l’instar du polygraphe.

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La députée libérale Marwah Rizqy

Ce que le ministre ne dit pas, c’est qu’au Québec, pour passer un test de polygraphe, il faut le consentement de la personne qui s’y soumet. Or, avec les logiciels de reconnaissance faciale, il n’y a aucun consentement.

Marwah Rizqy, députée libérale

« Ce qui m’étonne, c’est que le secteur privé prend ses responsabilités et se retire de lui-même de ce marché, mais ici, au Québec, on continue d’aller de l’avant avec cette technologie controversée, dénonce la députée libérale. Je me demande ce que ça va prendre pour que la ministre de la Sécurité publique et le Procureur général se réveillent et suivent le mouvement généralisé de recul. »