(Ottawa) Soumis à un barrage de critiques à la Chambre des communes pour sa gestion de la crise ferroviaire, le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu mercredi de faire preuve de « mollesse » devant la multiplication des barricades qui paralysent le transport par rail au pays depuis trois semaines.

M. Trudeau a aussi écarté l’idée de se rendre lui-même en Colombie-Britannique afin d’y rencontrer les chefs héréditaires de la Première Nation Wet’suwet’en qui s’opposent au passage d’un gazoduc sur leur territoire ancestral – un geste indispensable aux yeux du Bloc québécois et du NPD pour mettre fin à l’escalade des manifestations en appui à ces leaders autochtones.

Alors qu’à l’autre bout du pays, sur les marches de l’Assemblée législative provinciale à Victoria, des jeunes de la Première Nation Wet’suwet’en affirmaient sans ambages que la politique de réconciliation préconisée par le gouvernement Trudeau « est morte et enterrée », le premier ministre et certains de se ministres responsables du dossier se félicitaient de certains progrès qui auraient été enregistrés au cours des dernières heures, sans toutefois donner des détails.

Pas de rencontre prévue

Un chef héréditaire de la nation Wet’suwet’en a déclaré que les gouvernements fédéral et provincial avaient annulé des pourparlers prévus pour tenter de dénouer l’impasse sur les barricades à travers le pays.

Le chef Na’moks, aussi connu sous le nom de John Ridsdale, a affirmé tard mercredi que les responsables gouvernementaux avaient demandé aux chefs héréditaires d’appeler tous leurs alliés d’autres nations à « cesser leurs actions ». Il a dit que les chefs ont répondu qu’ils ne pouvaient pas dire comment agir à une autre nation souveraine.

Le chef Na’moks a dit qu’il avait le cœur brisé et que les chefs héréditaires avaient encore la volonté de tenir des discussions.

Le bureau du premier ministre de la Colombie-Britannique a affirmé qu’il était regrettable qu’aucun accord n’ait pu être conclu pour rencontrer les chefs héréditaires Wet’suwet’en.

Dans un communiqué, le bureau du premier ministre a indiqué qu’il avait eu espoir que les chefs acceptent « une période de paix et de respect pendant les pourparlers, qui comprendrait l’encouragement à leurs partisans de lever les barricades ».

John Horgan a affirmé que son gouvernement souhaitait toujours une rencontre avec les chefs héréditaires et qu’il continuerait de « dialoguer » avec ceux-ci et le gouvernement fédéral.

« Restons calmes »

« Restons calmes. Il y a des avancées qui sont positives », a ainsi soutenu le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, qui tente de trouver une solution à cette crise avec l’aide de sa collègue, Carolyn Bennett, la ministre des Relations Couronne-Autochtones.

Mais d’autres ministres, dont le ministre des Transports Marc Garneau et le ministre de la Sécurité publique Bill Blair, cachaient mal leur colère de voir des manifestants mettre le feu à des débris de bois sur une voie ferrée près de Belleville alors qu’un train de marchandises du CN circulait. Ces débordements auraient pu avoir de graves conséquences, selon eux.

« C’est un acte extrêmement dangereux, non seulement pour les personnes qui essayaient d’allumer un feu en dessous d’un train qui était en train de rouler, mais extrêmement dangereux pour d’autres personnes, particulièrement s’il y avait eu des matières dangereuses à bord du train. Alors, c’est quelque chose de totalement irresponsable », a affirmé le ministre Marc Garneau.

Le ministre a avancé que le transport ferroviaire pourrait prendre « plusieurs semaines » à revenir à la normale une fois que les barricades auront été enlevées. Pour illustrer l’ampleur de la crise, il a indiqué qu’il y a 184 convois qui sont immobilisés au Canada et aux États-Unis qui, mis l’un à l’arrière de l’autre, couvrirait la distance entre Montréal et Ottawa. « Ce sont beaucoup de marchandises qui doivent être transportées et nous espérons que ça va bouger le plus rapidement possible », a-t-il dit, visiblement exaspéré.

Trudeau sur la défensive

Aux Communes, le premier ministre Justin Trudeau défendu la voie empruntée par son gouvernement pour parvenir à « résolution pacifique et durable » de ce bras de fer. Il a aussi accusé le Parti conservateur de proposer des solutions « simplistes » à un problème « complexe » en exigeant des mesures plus musclées.

Quant à la proposition du chef du NPD Jagmeet Singh et du chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet de prendre les choses en main en se rendant en Colombie-Britannique pour rencontrer les chefs héréditaires, M. Trudeau a fait valoir que cela pourrait envenimer la situation, car les membres de la Première Nation Wet’suwet’en sont divisés sur le projet de construction du gazoduc Coastal GasLink. En effet, si les chefs héréditaires y sont farouchement opposés, les membres du conseil de bande qui sont élus, eux, y sont favorables.

« Il y a plusieurs voix au sein de la communauté wet’suwet’en. Il y a des chefs héréditaires, des chefs élus et d’autres leaders au sein de cette communauté. Ils doivent déterminer entre eux la voie à suivre, sans ingérence. Ce serait le cas si un premier ministre s’assoyait avec un des groupes trop rapidement. Je suis, évidemment, ouvert à un dialogue constructif, mais de la bonne manière », a affirmé M. Trudeau en réponse à une question du leader néo-démocrate.

« Il faut régler le problème à sa source », a tonné le député bloquiste Alain Therrien, pour qui la source se trouve en Colombie-Britannique. « Malheureusement, seulement le premier ministre du Canada peut le faire. J’ai toujours pensé qu’il vivait dans un monde de licornes. Je m’aperçois aujourd’hui qu’il vit dans un monde d’autruches. Au nom des Québécois […], je pose la question suivante au premier ministre : va-t-il enfin se lever, réagir, intervenir et régler le problème ? »

Pour le Parti conservateur, la crise actuelle ne fait que s’empirer parce que le gouvernement Trudeau a fait preuve de mollesse alors que « des activistes radicaux » s’installaient sur les voies ferrées.

« Nous sommes rendus à la 21e journée. Les Canadiens sont tannés des belles paroles du premier ministre. Gérer un pays, c’est quelque chose de sérieux qui nécessite de prendre des décisions difficiles. Notre économie est prise en otage et aucun plan n’a été présenté pour nous sortir de cette crise. Les entrepreneurs de partout au pays sont inquiets. Les pertes se comptent à coup de milliards de dollars et de nombreux travailleurs sont mis au chômage. Combien de temps devrons-nous attendre avant que le premier ministre assume ses responsabilités et qu’il fasse preuve d’un minimum de leadership », a lancé le député Alain Rayes aux Communes.

Le premier ministre a dit reconnaître que « les Canadiens souffrent ». Mais il juge encore préférable d’en arriver à une solution « rapide, pacifique et surtout durable ».

« Malheureusement, les conservateurs continuent de faire de la petite politique en opposant les Canadiens les uns contre les autres, en ignorant la complexité de la situation et en capitalisant sur les divisions au sein de la communauté wet’suwet’en. Ce n’est pas la façon d’avancée pour un pays. Nous allons continuer de faire le travail difficile et nécessaire afin d’assurer un avenir profitable et positif à tous les Canadiens. »

— Avec La Presse canadienne