(Ottawa) Des fonctionnaires fédéraux ont perdu ou peut-être même détruit des dossiers confidentiels concernant un officier de la marine reconnu coupable d’avoir vendu des secrets à la Russie, révèle une enquête du commissaire à l’information.

Cette enquête, qui impliquait le plus haut fonctionnaire du pays et la conseillère à la sécurité nationale du premier ministre, laisse des questions sans réponse dans cette affaire d’espionnage parce que des dossiers confidentiels n’ont pu être retrouvés.

Cet épisode s’est amorcé il y a sept ans lorsque La Presse canadienne a déposé une demande en vertu de la Loi d’accès à l’information auprès du Bureau du Conseil privé afin de consulter des notes, des courriels et des rapports concernant Jeffrey Delisle.

L’enseigne de vaisseau a été condamné à 20 ans de prison après avoir plaidé coupable d’avoir transmis des renseignements secrets à la Russie en échange d’argent comptant sur une base régulière pendant plus de quatre ans.

Le Bureau du Conseil privé a rejeté la demande en août 2013, affirmant que les dossiers concernant Delisle traitaient de questions comme des enquêtes, les relations internationales et la surveillance d’activités subversives ou hostiles.

La Presse canadienne s’est plainte le mois suivant auprès du commissaire à l’information.

La commissaire à l’information Caroline Maynard a relaté le fil des événements dans une lettre transmise ce mois-ci à l’agence de presse.

Dès 2013, le bureau du commissaire avait demandé des copies non censurées des dossiers à examiner. Le Bureau du Conseil privé a alors indiqué que des dispositions seraient prises afin qu’un enquêteur puisse venir consulter ces documents confidentiels.

Le Bureau du commissaire semble avoir attendu plus de cinq ans avant de faire le suivi.

En juillet 2019, le directeur adjoint de la direction des services corporatifs du Bureau du Conseil privé a déclaré à l’un des enquêteurs de la commissaire que les documents avaient « très probablement » été détruits par inadvertance.

Mme Maynard a ensuite ordonné à Greta Bossenmaier, la conseillère en matière de sécurité nationale et de renseignement du premier ministre à l’époque, de produire les documents, une décision visant à déterminer s’ils avaient bien été détruits.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L'ex-conseillère en matière de sécurité nationale et de renseignement, Greta Bossenmaier, photographiée en 2017

À la fin de novembre, le directeur de l’accès à l’information du Bureau du Conseil privé a répondu au nom de Mme Bossenmaier que le Bureau du Conseil privé ne pouvait pas retracer les documents ou confirmer s’ils avaient été détruits.

Il a fourni quelques indices supplémentaires. En 2013, un analyste d’accès a consulté les documents dans une zone sécurisée du secrétariat de la sécurité et du renseignement du bureau. Ils ont ensuite été placés dans un dossier qui semble avoir été placé dans une autre armoire.

« Si les documents sont retrouvés, le Conseil privé en informera votre bureau », écrit-il.

Étant donné que le Bureau du Conseil privé n’avait toujours pas confirmé l’état des documents, Mme Maynard a demandé en décembre 2019 au greffier du Conseil privé Ian Shugart de fournir tous les documents existants d’ici le 20 janvier.

« J’ai également exhorté le greffier à veiller à ce que le Bureau du Conseil privé prenne les mesures nécessaires pour garantir que tous les documents pertinents à la plainte en cours sont correctement conservés », peut-on lire dans la lettre de Mme Maynard à La Presse canadienne.

Le sous-ministre adjoint du Bureau du Conseil privé a répondu le mois dernier à Mme Maynard que les dossiers étaient introuvables et a qualifié l’affaire « d’incident isolé ».

Depuis, le Bureau du Conseil privé « s’est engagé à assurer une approche plus rigoureuse » de ces demandes d’accès à des documents, a indiqué Pierre-Alain Bujold, un porte-parole du Bureau du Conseil privé.

Le Bureau du Conseil privé dit qu’il ordonne désormais aux fonctionnaires de faire des copies des documents confidentiels, de veiller à ce que le numéro de la demande soit affiché bien en vue et de placer le fichier dans un coffre-fort centralisé pour la conservation et les références futures.

Natalie Bartlett, porte-parole de Maynard, a refusé de commenter, affirmant que la loi sur l’accès ne permet pas au bureau de discuter d’une enquête jusqu’à la publication du rapport.

Dans sa lettre à La Presse canadienne, Mme Maynard, qui est devenue commissaire en mars 2018, a présenté ses excuses pour le retard dans l’enquête sur la plainte.

« Votre plainte a mis en évidence à la fois l’importance de l’identification et de la conservation adéquates des dossiers par les institutions, ainsi que l’importance de mener des enquêtes en temps opportun. »

Mme Maynard a dit avoir pris des mesures pour garantir que les plaintes plus anciennes « continuent d’être activement traitées et que les dossiers ne restent pas sans affectation pendant de longues périodes ».

Elle a ajouté que dans ce cas particulier, il lui est impossible d’évaluer efficacement si le Bureau du Conseil privé était justifié de refuser l’accès, en tout ou en partie, en vertu de la loi.