(Ottawa) Le gouvernement libéral tourne son attention vers l’Afrique. Et il y a une raison politique très pratique à cela : éviter une défaite embarrassante à l’occasion du vote pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.

Lorsque le premier ministre Justin Trudeau se rendra jeudi en Éthiopie, il aura été précédé par deux ministres et un secrétaire parlementaire qui y sont allés au cours des dernières semaines. Cette soudaine attention fait partie de la campagne électorale canadienne.

De nombreux experts craignent que la tournée qu’entreprend cette semaine M. Trudeau arrive trop tard dans la course. Les engagements du Canada en matière d’aide étrangère et de participation aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies n’ont jamais été aussi bas.

On a reproché au gouvernement libéral d’avoir largement ignoré l’Afrique, qui forme un bloc de vote clé à l’ONU. Les libéraux pourraient s’en mordre les pouces comme s’ils venaient de découvrir la valeur politique du continent africain.

L’Afrique et ses 54 pays votants seront en quelque sorte les faiseurs de lois à l’occasion du scrutin secret auquel participeront 190 membres de l’Assemblée générale de l’ONU. Le Canada aura besoin 128 voix pour obtenir un mandat de deux ans au Conseil de sécurité. Il fait face à une forte concurrence de la Norvège et de l’Irlande qui dépensent davantage pour l’aide étrangère et les opérations de maintien de la paix.

PHOTO MARY ALTAFFER, ARCHIVES THE ASSOCIATED PRESS

« Sans soutien sur le continent africain, la candidature du Canada au Conseil de sécurité est mort-née », a déclaré Nicolas Moyer, président du Conseil canadien pour la coopération internationale.

Deux sièges sont à pourvoir dans ce qu’on appelle le Groupe des pays d’Europe occidentale et autres de l’ONU. Ce bloc fait habituellement front avec ses membres strictement européens au détriment aux trois autres États du groupe : le Canada, l’Australie et Israël.

« Sans soutien sur le continent africain, la candidature du Canada au Conseil de sécurité est mort-née », a déclaré Nicolas Moyer, président du Conseil canadien pour la coopération internationale.

M. Trudeau se rend à Addis-Abeba, en Éthiopie, pour rencontrer le premier ministre Abiy Ahmed et la présidente Sahle-Work Zewde. Il assistera aussi au sommet de l’Union africaine là-bas avant de se rendre à Dakar pour y rencontrer le président du Sénégal, Macky Sall.

Le chef libéral avait promis d’obtenir un siège au Conseil de sécurité pour le Canada lors des élections de 2015.

M. Moyer et bien d’autres demandent depuis longtemps au Canada de s’engager à atteindre l’objectif de l’ONU sur le plan des dépenses liées au développement qui est de 0,7 % du revenu national brut. À l’heure actuelle, les dépenses canadiennes à ce chapitre n’atteignent que 0,3 %, ce qui le place près du bas du peloton parmi la trentaine des plus riches pays de la planète. Par comparaison, la Norvège consacre 1 % de ses revenus à l’aide étrangère tandis que l’Irlande a présenté un plan visant à atteindre l’objectif de 0,7 %.

« Nous ne nous comparons pas très bien par rapport à nos concurrents », juge M. Moyer.

L’appui africain

La défaite du Canada contre le Portugal en 2010 est principalement attribuable à l’incapacité du gouvernement conservateur de Stephen Harper à persuader les pays africains à donner leur soutien, raconte Adam Chapnick, professeur au Collège militaire royal et auteur de l’essai « Canada on the United Nations Security Council : A Small Power on a Large Stage ».

« Les votes dont nous avions besoin et que nous n’avions pas obtenus étaient en grande partie en Afrique. Dans les campagnes précédentes, nous avions pratiquement balayé l’Afrique et cela compensait le fait que nous avons rarement beaucoup de succès en Europe de l’Est. Et l’Europe elle-même peut être difficile parce que nos adversaires sont généralement européens. »

Le Canada est mieux placé en Afrique que la plupart des gens ne le pensent, car on donne trop d’importance aux faibles dépenses fédérales par rapport au revenu national brut, soutient le professeur.

« L’Afrique ne vote pas en bloc, fait valoir M. Chapnick. Chaque pays vote, en grande partie, en fonction de ce que les candidats ont fait pour eux personnellement, ces derniers temps. Et les dollars que nous dépensons pour l’aide à l’Afrique ne sont pas aussi proportionnellement bas que le pourcentage de notre RNB. »

Lors d’une récente conférence téléphonique à la fin de son voyage en Afrique, le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, avait souligné que le Canada avait versé 1,6 milliard en aide au développement au seul Mali au cours de la dernière décennie.

Le Canada a également un avantage sur l’Irlande dans les pays d’Afrique de l’Ouest parce qu’il est un pays francophone, estime Chapnick. C’est un point que M. Trudeau est susceptible de souligner au cours de son arrivée au Sénégal, la semaine prochaine.

« La touche personnelle en Afrique importe beaucoup. L’apparition d’un leader du G7 apporte de la crédibilité à votre État et démontre l’importance de votre État sur la scène mondiale, et cela peut être très utile », dit M. Chapnick.

Selon la chef adjointe des conservateurs, Leona Alleslev, la décision du gouvernement Trudeau de retirer les Casques bleus canadiens au Mali nuira aux chances du Canada. Elle reproche aussi au gouvernement de ne pas avoir un plan clair de redéploiement ailleurs en Afrique.

« Il n’a pas de stratégie et il s’accroche à un fétu de paille. Qu’a-t-il à offrir après le retrait du Mali s’il n’a pas envisagé de participer à d’autres opérations de maintien de la paix ? », critique-t-elle.

Contrairement à certains de ses collègues conservateurs, Mme Alleslev croit que le Canada a besoin d’un siège au Conseil de sécurité pour mieux les intérêts des puissances moyennes et établir une crédibilité internationale auprès d’importants partenaires commerciaux.

Mme Alleslev a noté que les dernières données déposées à la Chambre des communes montraient que le gouvernement avait dépensé près de 2 millions pour sa candidature au début décembre, contre 1,5 million au printemps précédent.

« C’est trop peu, trop tard, car il ne sait pas ce qu’il essaie de vendre. »