(Washington) Des Nord-Américains d’origine iranienne craignent maintenant d’être victimes de profilage ethnique, alors que des dizaines d’entre eux ont subi des interrogatoires intensifs – et de longs retards – en voulant entrer aux États-Unis en fin de semaine.

Len Saunders, un avocat de l’immigration dans l’État de Washington, a déclaré lundi que plusieurs de ses clients – certains vivant au Canada et tous d’origine iranienne – ont été obligés d’attendre plus de cinq heures et de répondre à un interrogatoire très intrusif, samedi, avant d’être autorisés à entrer aux États-Unis. Un citoyen naturalisé américain d’origine iranienne et un résident canadien qui détient une carte verte pour travailler aux États-Unis ont notamment subi ce sort, a déclaré Me Saunders en entrevue.

À un moment donné, une Irano-Américaine a demandé de pouvoir sortir du poste-frontière et retourner au Canada, où elle avait rendu visite à des parents à Vancouver. On lui a répondu qu’elle n’était pas autorisée à quitter l’immeuble, a raconté Me Saunders. « Elle m’a dit : “ Je suis Américaine. Quel était l’intérêt de me naturaliser et de devenir Américaine ? Je n’ai aucun droit, ici ? ” »

Des publications sur les réseaux sociaux ont fait état de retards à la frontière pouvant atteindre de huit à dix heures.

L’exécution de Soleimani

Pramila Jayapal, élue démocrate de l’État de Washington à la Chambre des représentants, croit que ces retards sont attribuables à la frappe aérienne américaine de la semaine dernière à Bagdad, qui a tué le major général Qassem Soleimani, un haut responsable militaire iranien. Son exécution a provoqué une vague de fureur au Moyen-Orient, des appels aux représailles et de nouvelles craintes d’un conflit meurtrier impliquant des soldats américains.

Mme Jayapal a organisé lundi une conférence de presse à Seattle avec Negah Hekmati, une designer d’intérieur de 38 ans, mère de deux enfants, qui a été retenue à la frontière pendant cinq heures, samedi, avant de pouvoir rentrer aux États-Unis après des vacances en famille au Canada. Grâce à sa carte d’accès rapide Nexus, Mme Hekmati, qui vient régulièrement au Canada, ne s’arrête habituellement même pas au poste-frontière de Peace Arch, entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington.

Mme Hekmati, qui a la triple citoyenneté iranienne, canadienne et américaine, a vécu au Canada pendant huit ans avant de déménager aux États-Unis pour profiter, selon elle, de plus de libertés dans le « melting pot » américain. Elle soutient que les agents frontaliers américains lui ont demandé ses codes d’accès pour Facebook et sa messagerie, et l’ont interrogée sur ses oncles et cousins vivant aux États-Unis.

Les responsables américains des douanes et de la protection des frontières à Peace Arch ont attribué les longs retards à une pénurie de personnel, a déclaré Mme Hekmati – une affirmation qu’elle rejette, puisque les agents ne semblaient pas débordés.

PHOTO ELAINE THOMPSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Bruce Heyman, ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, a expliqué lundi en entrevue que les agents frontaliers américains disposent d’une grande latitude pour décider qui est autorisé à entrer au pays.

Les méthodes ont changé

« Ce n’est pas cela, être citoyen américain », a déclaré la représentante Jayapal. « On doit signifier clairement, dès le début, que c’est inacceptable. Nous devons nous lever et affirmer nos valeurs en tant que nation. »

Le Service américain des douanes et de la protection des frontières a nié détenir ou refuser l’entrée à des Irano-Américains en raison de leur origine. Il reconnaît cependant que les procédures ont changé depuis les menaces à la sécurité de la semaine dernière.

Me Saunders, qui a visité le poste frontalier samedi après-midi, a vu entre 75 et 100 personnes en attente de traitement. Personne ne s’est vu refuser l’entrée aux États-Unis, selon lui, mais « lorsqu’un citoyen américain est retenu pendant huit à dix heures et qu’il ne peut pas quitter le bâtiment, je considère que ce citoyen est, dans les faits, détenu ».

Bruce Heyman, ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, a expliqué lundi en entrevue que les agents frontaliers américains disposent d’une grande latitude pour décider qui est autorisé à entrer au pays. Étant donné les événements de la semaine dernière, « je ne serais pas surpris s’il y avait des entrevues supplémentaires, pour connaître l’historique de tous ceux qui traversent la frontière en ce moment ».

Mme Jayapal a indiqué qu’elle réintroduirait un projet de loi pour mieux protéger le droit de tous les citoyens américains à demander la présence d’un avocat lorsqu’ils sont retenus pendant des heures sans motif raisonnable.