(Ottawa) Les ministres canadiens des Affaires étrangères et des Transports s’attendent à ce que Téhéran explique plus précisément pourquoi des militaires avaient tiré des missiles sur un avion de ligne ukrainien en janvier.

Les ministres François-Philippe Champagne et Marc Garneau déplorent lundi, dans une déclaration commune, que le récent rapport préliminaire de l’Organisation iranienne de l’aviation civile sur la lecture de l’enregistreur de bord du vol PS752, publié en fin de semaine, ne fournisse « que des renseignements limités et ciblés concernant cet évènement tragique ».

Le nouveau rapport sur le vol PS752 des lignes aériennes Ukraine International fournit plusieurs nouveaux détails sur ce qui s’est passé ce fameux soir du 8 janvier, lorsque deux missiles militaires iraniens ont percuté l’avion de ligne peu après son décollage de Téhéran. En particulier, les 19 secondes de données collectées par les enregistreurs de données de vol de l’appareil révèlent que les trois membres de l’équipage « ont immédiatement commencé à prendre les mesures nécessaires pour contrôler l’avion » après le premier tir de missile et avant le second tir, 25 secondes plus tard.

Par contre, le rapport ne fournit aucune information sur les minutes qui ont précédé les tirs de missiles — accidentels, selon Téhéran. Les 176 personnes à bord de l’avion à destination de l’Ukraine ont été tuées, dont 55 citoyens canadiens et 30 résidents permanents du Canada.

Le rapport préliminaire n’explique pas non plus pourquoi les missiles avaient été tirés en premier lieu, ou pourquoi l’espace aérien de l’Iran était encore ouvert, alors que l’armée iranienne venait de lancer quelques heures plus tôt des missiles balistiques contre les forces américaines en Irak voisin. Cette attaque de missiles balistiques constituait une riposte à une frappe de drone américain qui avait tué l’illustre général iranien Qassem Soleimani à Bagdad la semaine précédente.

Voilà les questions clés auxquelles le Canada et la communauté internationale veulent avant tout obtenir des réponses, ont déclaré lundi les ministres Garneau et Champagne, dans un communiqué commun. « Le Canada, les Canadiens et, surtout, les familles des victimes innocentes ont besoin de connaître la réponse à ces questions, soutiennent-ils.

Dans leur déclaration commune, les deux ministres canadiens rappellent aussi que le bref rapport de l’Organisation iranienne de l’aviation civile ne mentionne que ce qui s’est passé après la première frappe de missile, mais pas après la deuxième, “et il ne fait que confirmer l’information que nous connaissons déjà ».

Plus de fermeté, demandent les familles

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada, qui avait dépêché des enquêteurs en France pour le téléchargement des données de vol, le mois dernier, a publié dimanche un communiqué similaire confirmant la réception du rapport iranien, tout en soulevant les mêmes questions que les ministres.

Un représentant des familles canadiennes et des proches tués dans l’accident a exprimé sa frustration, lundi, qu’Ottawa n’ait pas pris une position plus ferme face à Téhéran, qu’il a accusé de faire échouer les efforts pour découvrir toute la vérité sur le vol PS752.

Hamed Esmaeilion, un dentiste de la région de Toronto qui a perdu sa femme et sa fille dans l’écrasement, estime que le gouvernement fédéral « maintient prudemment et délicatement la bonne position », mais qu’il devrait trouver des moyens de faire pression sur Téhéran.

Ottawa devrait notamment, selon lui, dénoncer ce qu’il qualifie de violations manifestes des obligations internationales de l’Iran concernant l’enquête. Il croit aussi que la Gendarmerie royale du Canada devrait être impliquée davantage dans les efforts visant à demander des comptes aux responsables de la tragédie.

En vertu des règles internationales, c’est l’Iran qui mène l’enquête, mais le Canada, l’Ukraine et d’autres pays jouent un rôle de soutien ou d’observateur. Les ministres Champagne et Garneau demandent lundi à l’Iran « de mener une enquête approfondie et transparente » et de respecter « son engagement ainsi que les normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale ».

L’Iran a d’abord nié toute responsabilité dans l’écrasement du Boeing 737-800 ukrainien ; devant les preuves accablantes qui s’accumulaient et sous la pression internationale, Téhéran a finalement admis que l’avion de ligne avait bel et bien été touché par deux missiles iraniens. Mais Téhéran s’est traîné les pieds pendant des mois avant de transférer finalement le mois dernier les enregistreurs de données de vol en France, pour téléchargement et analyse.

Le Canada et les autres pays qui ont perdu des ressortissants sur le vol PS752 — la Grande-Bretagne, la Suède, l’Afghanistan et l’Ukraine — ont signé le 2 juillet un accord de coopération pour forcer Téhéran à verser des indemnités aux familles des victimes. Le directeur de l’Organisation iranienne de l’aviation civile a indiqué en fin de semaine que Téhéran était prêt à verser une indemnisation complète aux familles des 176 personnes tuées dans la tragédie et qu’il lancera en octobre des pourparlers avec le Canada et les autres pays impliqués.

Un rapport iranien a imputé le mois dernier à un certain nombre d’erreurs humaines cette « tragédie qui aurait pu être évitée ». On indiquait notamment que la batterie de missiles sol-air qui avait tiré sur l’avion avait été déplacée et mal réorientée par la suite. Les responsables de la batterie ne pouvaient pas non plus communiquer avec leur centre de commandement, selon le rapport. Ces soldats auraient également identifié à tort l’avion de ligne comme une menace et auraient ouvert le feu à deux reprises sans obtenir l’approbation de leurs supérieurs.