(Québec ) L’usage de la force policière pour défaire les barrages ferroviaires, comme l’a évoqué mercredi matin François Legault, est « la pire option que l’on peut envisager à ce stade », a dénoncé le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard, qui accuse le premier ministre « d’avoir la mémoire courte ».

« C’est la pire chose à faire », a déploré M.  Picard en entrevue à La Presse. « Vraiment, c’est une très mauvaise décision si c’est ce que [M. Legault] envisage comme solution », a-t-il ajouté, rappelant que lors de la crise d’Oka « l’intervention par la force de la Sûreté du Québec avait mené à une crise qui a duré près de 80 jours ».

François Legault a haussé le ton mercredi, au jour 14 du blocus ferroviaire, sommant Justin Trudeau de fixer rapidement un échéancier pour dénouer l’impasse. Il n’a pas voulu exclure une intervention policière, affirmant avoir eu « des discussions avec la Sûreté du Québec », à condition que l’action soit simultanée à travers le pays.

« Ce n’est pas la bonne façon d’agir que d’y aller avec une espèce de mise en garde, de quelque chose qui soit coercitif », a lancé le chef Picard, qui dit toujours offrir son soutien aux chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en.

Il propose par exemple qu’un médiateur soit nommé « pour tempérer les esprits ». Il croit aussi que la demande, adressée par les autochtones de la Colombie-Britannique, de retirer les forces de la GRC présentes sur leur territoire doit être considérée. Il craint que les propos de M. Legault ne servent qu’à attiser les tensions.

« Au lieu d’affaiblir ou de décourager le mouvement qui s’installe depuis déjà plusieurs jours, cela va contribuer, sans doute, à l’amplifier parce que les Premières Nations, avec raison, se sont habituées à l’adversité », a-t-il déploré.

Le chef Picard estime par ailleurs que ce genre de discours tenu par le premier ministre nuise à la relation que cherche à établir Québec avec les Premières Nations, notamment pour la mise en oeuvre des conclusions du rapport Viens. « Je pense qu’on n’a pas [encore] réussi à établir les bases d’une relation politique », a-t-il dit.

Et si les barricades devaient être démantelées par la force, Ghislain Picard, soutient qu’il est clair que le gouvernement Legault et les Premières Nations « vont se retrouver à des années-lumière d’une relation saine et constructive. »

« D’une crise à une autre »

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador dit être de ceux qui souhaitent un dénouement rapide. « Tout le monde est sensible aux conséquences de la crise. Mais, on a toujours l’impression que l’entièreté de l’odieux nous appartient. C’est important d’insister sur une réponse à la hauteur des attentes aussi de la part des gouvernements », a expliqué M.  Picard.

Il est d’avis que les manifestations sont aujourd’hui le résultat de « décennies d’accumulation et de frustration » des peuples autochtones. M.  Picard rappelle que le cas de la Colombie-Britannique est loin d’en être un isolé. « Ce sont des situations qui auraient pu prendre naissance ailleurs au pays », soutient-il.

« On est capable de reconnaître qu’il y a eu des avancées sur certains fronts », admet-il. « Mais, sur la question des territoires et des ressources, on a l’impression qu’on est toujours la dernière partie à être consulté, que le résultat est toujours à l’avantage de l’industrie », plaide-t-il.

« Et le meilleur exemple c’est 1990 au Québec, avec Oka […] On a conclu la crise, on l’a réglée avec la promesse qu’on allait trouver des voies de sorties rapidement et 30 ans plus tard, le problème demeure entier. D’une crise à une autre, on nous fait des promesses au niveau politique et on n’est pas capable de livrer », lance-t-il.

Le blocus ferroviaire paralyse une partie de l’économie du pays depuis près de deux semaines. Les chefs héréditaires de la Première Nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique s’opposent à la construction d’un gazoduc qui passerait sur son territoire, alors que le conseil de bande de cette même nation s’est entendu avec le promoteur du projet.